A la recherche du spectre perdu • FT. Akane

La nuit passée le démon blanc avait profiter des plaisirs qu'offrait la ville au côté d'un autre homme l'accompagnant. Ce dernier n'avait pas conscience de la véritable nature de son partenaire de soirée, ne voyant qu'un simple artiste en Lin. Un simple humain. Les deux avaient passé la nuit ensemble et le jour venu, le démon blanc pensait pouvoir rester dans le cabanon du chasseur, à l'abri de la lumière ocre des aurores. Malheureusement, tout ne s'était guère passé comme prévu. Le chasseur voulait le foutre dehors. Au début, Lin ne voulait pas le tuer, mais il n'eut guère le choix. Il devait le faire taire. Cet humain avait une grosse voix, faisant facilement écho vers le village non loin d'ici. 

Les personnes étaient curieuses ici, Lin en avait bien conscience. S'il ne voulait pas attirer l'attention, il se devait de lui ôter sa misérable vie. Durant toute la journée, Lin eut la paix. Il s'était endormi, lové dans des peaux de bêtes. Ses vêtements étaient accrochés à des bois de cerf, épargnés du sang. Lorsque le démon blanc ouvrit les yeux, il était encore dans les vapes. Des effluves ferrés caressaient ses narines, l'éveillant pleinement. Ses pupilles étaient si dilatées que ses iris ne formaient plus que deux fins cercles dans ses yeux. Devant lui, il y avait le corps éventré du chasseur. Ses viscères et ses boyaux jonchaient le sol, des litres de sang recouvraient le parterre. 

S'il n'avait pas tenté de jeter le démon dans les flammes, il serait encore en vie. Lin s'approcha du corps, plaçant son nez par-dessus les organes répandus sur le sol. Cependant, ce n'était guère cette odeur qui l'avait réveillé. Celle qui l'intriguait émanait de l'extérieur, éveillant pleinement ses sens de démons. Après s'être rapidement rhabillé, il s'échappa de sa nouvelle demeure. Les amis de la victime n'avaient guère été épargnés par le démon. Leurs corps étaient empalés, que ce soit sur des pieux ou aux branches d'arbres. Leurs os étaient brisés leur donnant l'allure de mannequins désarticulés, sous la mince lumière opaline de la nuit, leurs dépouilles conféraient une atmosphère particulièrement macabre. Il y avait, dans l'air, une forte odeur de nichirin. Est-ce qu'on le cherchait ? Qu'ils viennent à lui. Lin affichait un large sourire, la tête penchée vers les cieux étoilés. 

Depuis son réveil, à aucun moment, il n'avait pris la peine de masquer son odeur, le trouver ne serait pas compliqué. Le corbeau d'un pourfendeur traversa le ciel, lui donnant l'impression de voir une tache de sang ailée. Dire qu'il était magnifique ou même sublime serait un euphémisme pour lui. Lorsque l'oiseau se posa sur une branche en hauteur, proche du cabanon, Lin grimpa, rejoignant le toit de la bâtisse.  « J'ai rarement vu un aussi bel oiseau que toi. » Une bonne distance les séparait, suffisamment pour ne pas risquer de l'effrayer.

« Dis-moi... Les corbeaux ne sont guère difficiles en termes de nourriture, n'est-ce pas ? » Ce n'était pas réellement une question, mais plutôt une affirmation déguisée. « Est-ce que vous aimez la chair des démons ? Je me pose la question, car tous les humains s'accordent à dire qu'on porte l'odeur de la mort, mais... Je me demandais si nous en avions également le goût. J'ai absolument besoin de savoir et je suis sûr que tu peux comprendre. » Avec une de ses griffes, il s'entailla le bras pour s'arracher un peu de lui-même. « Tiens, tu n'as qu'à me goûter ! » Il lui lança la chair qu'il venait de prélever avant d'être retrouvé par les pourfendeurs qui étaient à sa recherche. Le démon blanc eut un large sourire en les voyant arriver. Deux hommes accompagnaient une femme, mais Lin n'en avait que faire d'eux. 

Du moins, dans l'immédiat, ce qui l'intéressait était le volatile aux couleurs du sang. Il avait bien envie de lui prendre une de ses plumes en souvenir, mais sans lui faire le moindre mal. Parce qu'il était bien trop beau pour être tué.« Alors ? Qu'en penses-tu ? » Demanda-t-il au corbeau écarlate. Lin, qui était toujours perché sur la toiture du cabanon, s'étira de tout son long. Agissant davantage tel un félin qu'un démon. Il avait les deux mains posées sur les tuiles, se laissant glisser vers l'avant de sorte à ce que son buste frôle le toit. Il accueillit le trio de pourfendeurs avec un large sourire, une lueur d'amusement dans le regard. « Je vous écoute. » 

« Qu'est-ce que vous me voulez ? Il est rare qu'on parvienne jusqu'à moi. Ceux qui ont essayé se sont perdus dans les limbes. » 

A LA RECHERCHE DU SPECTRE PERDU • FT. AKANE

« Vous êtes original pour un démon, mais vous avez déjà vu d’autres corbeaux manger ça et survivre ? » Étrange sa question. Sur le coup, Lin ne comprit pas pourquoi ce corbeau pensait mourir en avalant sa chair. Cependant, avec le nombre et la variété de pouvoirs sanguinaires qu'il y avait en ce monde, il comprenait sa méfiance. Comment s'assurer qu'un démon ne cachait pas une parfaite maîtrise des poisons et toxines ? C'était impossible. Il n'y avait nul moyen de deviner le pouvoir d'un être, pas sans s'être préalablement informé de sources fiables. « Oh, merciii ! J'apprécie le compliment ! » En hochant la tête sur le côté, la mine pensive, il poursuivit. « Et pour te répondre, je n'ai jamais vu de corbeaux en manger, mais simplement par manque de temps. La chair des démons se désagrège avant même de pouvoir éveiller leur intérêt. » Et ce n'était certainement pas à cause de l'odeur. Après tout, les corbeaux s'étaient construit leur sombre réputation à force de dépouiller les cadavres de leurs chairs. Ils étaient des oiseaux de nuit, présage de mauvaises augures.

Dans l'esprit des humains, ils évoquaient la mort et ne représentaient rien de plus. Parce qu'ils avaient l'esprit étriqué, bien trop pour concevoir toute la beauté de ces majestueux oiseaux. Il n'y avait que les pourfendeurs qui s'étaient montrés capables de reconnaître leur juste valeur. «  On est venu reprendre ce que tu as volé et possiblement te tuer. Vu l’assurance dont tu fais preuve, j’imagine que tu dois être vraiment fort. » S'il était fort ? Ces mots résonnaient en lui, faisant écho à plusieurs événements passés. D'après Miyuki, il était d'une faiblesse pitoyable, mais peut-être que ces pourfendeurs allaient avoir un discours différent. Il l'espérait. « Cependant, on sait que tu ne l’as pas volé directement, tu as envoyé un pourfendeur du nom de Ryuji Saito le volé pour toi. Ce qui m’intéresse avant te décapité c’est pourquoi tu as voulu se spectre et surtout comment tu as réussi à convaincre un Hinoto d’accomplir ta besogne. »

En entendant le nom de Ryuji, sa pupille se grossit jusqu'à ce que son iris ne devienne plus qu'un halo gris-bleu dans son unique œil de visible. Alors, est-ce qu'il aurait réellement osé parler de lui à ses confrères ? Lin se souvenait de la menace qu'il lui avait crachée à la gueule et, si nécessaire, il comptait bien l'exécuter. Il s'en ferait même une joie. Dans tous les cas, il ne comptait guère répondre bien sagement. « J'sais pas, peut-être qu'il est tombé sous mon charme. » En quelque sorte, on pouvait dire que c'était vrai. Qu'est-ce qu'il aimait le regard que lui portait Ryuji lorsqu'il était sous son emprise ! Il était vide d'émotions, seule la tristesse persistait.

Elle restait comme une empreinte, comme si, au fond de lui, il comprenait toujours ce qui lui arrivait. En y pensant, cela devait être étrange... avoir son âme coincée dans un corps qui ne lui obéissait plus, ignorant sa volonté propre pour assouvir celle d'un autre. Il était même persuadé que, dans certains contextes, l'idée pouvait sembler excitante aux yeux de certains. « C’est spécial, j’ai l’impression d’avoir goûté un cadavre frais, mais qu’on aurait laissé pourrir des siècles durant. Faites attention, ce type se rapproche le plus de la puissance de Kazuki. » Maintenant, ce fut le nom de Kazuki qui retint son attention. « Oh, tu le connais ?! J'aime bien ce démon... Il a le sourire ! »

C'était même plus qu'un simple sourire, portant celui d'un ange. Une magnifique créature des cieux, aux yeux de Lin. « Au faîte, c’est quoi ton nom et c'est quoi tous ces cadavres mutilés sur ces croix ? » Ça faisait beaucoup de questions, surtout que, pour le moment, Lin n'était guère d'humeur à bavarder. Du moins, pas pour répondre à d'aussi futiles questions. Comment ça, qu'était-ce ? Ça se voyait ! La réponse à sa deuxième interrogation résidait dans sa phrase. De plus, la tête de ces deux jeunes hommes ne lui revenait pas. Ce n'était certes pas une raison pour se montrer spécifiquement désagréable avec eux, mais ça ne l'empêchait en rien d'être désintéressé. Par contre, il y avait un petit quelque chose qui titillait le démon, quelque chose clochait. On lui demandait comment il s'appelait, ce qui était surprenant.

Dès les premiers instants de leur rencontre, les pourfendeurs avaient mis les choses au clair avec le Byakuren, lui expliquant qu'ils savaient que Ryuji avait volé pour lui. Cependant, s'ils étaient si bien renseignés, comment pouvaient-ils donc ignorer le nom du démon blanc ? Si l'Hinoto avait eu la langue bien pendue, alors pourquoi taire le nom de son bourreau ? À moins que Ryuji n'ait jamais été leur source... Comment même aurait-il pu ?! Après tout, il avait dévoré ses yeux ainsi que sa langue.

« Comment cela se fait-il ? Vous ignorez mon nom, mais sur le reste... vous êtes plutôt bien renseignés ! » Était-ce possible que ces informations aient été partagées par d'autres ? Était-ce des civils ? Ceux du théâtre s'étaient fait tuer par un Kanoé après tout. Il n'y avait pas à dire, pour engager de tels cas, l'Ordre des pourfendeurs devait être sur le déclin. « Moi, j’aimerais surtout savoir pourquoi il ne nous a toujours pas attaqués. » Lin préférait ne pas se mentionner sur ce point, ignorant complètement la remarque. Son unique réponse fut un fin sourire, presque amical et doux. « Dites-moi plutôt qu'elles sont vos sources. Était-ce Ryuji qui se serait fait pousser des couilles entre temps ? » Il en ricana avant de continuer. « À moins qu'il y ait eu des survivants après l'incident du théâtre... » Est-ce qu'ils allaient comprendre ce à quoi Lin faisait référence ? Parce qu'il avait bien envie de savoir s'ils surveillaient leurs recrues avec autant d'ardeur et de dévouement qu'avec les démons.