a little cat under my blanket • FT. Nageru

Le tavernier avait dû s'absenter pour quelques jours. Un de ses proches souffrait d'un mal inconnu et c'était tout logiquement qu'il souhaitait être à ses côtés. Peut-être étaient-ce ces derniers instants avec lui. Haiko ne s'était pas interposé à sa décision. Qui était-il pour le retenir en ces lieux contre son grès ? Il était certes cruel, mais ce n'était pas un monstre pour autant. Les immenses portes du bâtiment étaient closes, fermées à clef. Une fenêtre était cependant entrouverte, pourvue d'un simple loquet comme défense. Autant dire que ce n'était pas ça qui allait empêcher quiconque de s'y introduire.

Haiko n'avait pas non plus jugé utile de fermer la porte menant au sous-sol. Ce n'était pas imprudent de sa part, du moins à ses yeux. Il était relativement connu à Kyoto, bien suffisamment pour qu'un détraqué se résigne à pénétrer dans l'antre du magicien sans invitation. Même un fou ne s'y risquerait guère. D'où son laxisme pour la sécurité des lieux. Cela faisait quelques jours qu'il n'était pas revenu au cirque, trop occupé à s'enivrer du matin au soir. Il déambulait, chancelant de droite à gauche sous les lumières ocrées de la ville.

Sa vision était floue. Son teint livide et ses cernes marqués le faisaient paraître tel un fantôme errant dans les rues. Il gardait précieusement sa bouteille à la main, la portant jusqu'à ses lèvres lorsqu'il ne manquait pas de chuter. Ainsi, il avait une bien triste allure. Pourtant, cette tristesse n'était qu'infime comparée à celle qui rongeait son esprit. Le regard des passants pesait sur ses épaules, il y voyait une noirceur qui le répugnait au plus au point. Il les détestait tous. Ces clébards qui osaient poser le regard sur lui, ces mêmes chiens qui se permettaient de le juger. Il avait envie de les frapper, la colère bouillonnait dans ses veines. Une haine aussi virulente que la tristesse qu'il dissimulait sous son regard assassin. Ces pauvres humains qu'il croisait, ils ne pouvaient même pas s'imaginer du ô combien il s'était donné pour rendre ce monde meilleur, pour eux.

Putains d'ingrats. Finalement, Haiko arriva devant les portes de son paradis. La fenêtre était grande ouverte, prouvant que quelqu'un avait fait sauter le crochet, mais le magicien n'eut aucune réaction. Il ne l'avait même pas remarqué, fouillant ses poches après la clef de l'établissement, mais rien. Il se laissa tomber sur les genoux, le front posé contre sa porte. « Merde... » Il se voyait déjà dormir dehors, sur le pas de sa porte. Pourtant, il se releva et prit de la distance, ce qui lui permit de voir la fenêtre. Parfait ! Elle fut son entrée de fortune. Cela faisait 3 nuits qu'il s'enivrait jusqu'à s'écrouler aux aurores venues. Il ne rêvait que de ses couvertures, pouvoir s'écrouler de tout son poids au sol, sa licorne dans les bras. Le magicien eut tout de même le réflexe de fermer la fenêtre avant de descendre jusqu'au sous-sol menant au cirque. Les escaliers étaient plongés dans l'obscurité. Seule l'unique lueur d'une allumette qu'il venait de craquer lui permettait de distinguer les marches.

Une fois arrivé dans sa salle de spectacle, il se dirigea vers un seau d'eau pour s'y plonger la gueule tout en avalant quelques gorgées. Il ne savait pas depuis combien de temps elle traînait là, mais au vu de son goût infecte, ça devait faire un petit moment. Son maquillage s'écoulait par gouttelettes, donnant un aspect blanchâtre à l'eau. Son étoile n'était plus qu'une tache rosée informe, dégoulinante. Tout comme sa larme bleue estompée.

En se dirigeant vers sa loge, il perçut une silhouette enveloppée dans sa couverture. Deux petites oreilles pervenches dépassaient, il n'en fallut pas plus pour que le magicien comprenne à qui il avait à faire. Haiko préféra ne pas s'avancer davantage, tournant les talons pour s'emparer du seau d'eau afin de l'envoyer à la gueule du squatteur. Il venait de le tremper de la tête aux pieds, en plus de lui jeter le seau dessus une fois vidé. « Hey, chaton ! T'as intérêt à déguerpir d'ici et vite ! Je suis pas d'humeur pour ce genre de conneries. » Il lui arracha sa licorne des bras avant de chanceler une nouvelle fois, s'adossant au mur pour ne pas s'écrouler sur le démon. Machinalement, il porta sa peluche vers son nez pour sentir l'odeur qu'elle dégageait.

« Putain de merde ! Elle va sentir la putréfaction pendant des mois et je parle même pas de ma couverture. Je vais avoir l'impression de partager mes nuits avec un démon. Sérieux, tu crois que j'ai envie de ça ?! » Il tenait toujours sa peluche fermement, contre son torse. Une noirceur meurtrière dans le regard. Heureusement pour lui, cela faisait suffisamment longtemps qu'Haiko partageait ses nuits avec cette licorne, seul vestige encore intact de sa fille. S'il aurait souillé ce précieux doudou de son odeur putride, alors que ce dernier portait encore l'odeur de son enfant, les événements se seraient passé - un poil - différemment.

a little cat under my blanket • FT. Nageru

Le démon se figea, assis sur la couverture anthracite qui jonchait le sol. Elle était fine, bien que salement efficace contre le vent. Originellement, elle était destinée aux soldats. Haiko l'avait récupéré après être tombé dessus par hasard, comme pour la plupart de ses affaires, lorsqu'il ne les faisait pas directement fabriquer par un professionnel. C'était le cas pour ses armes en nichirin et concernant son parcours aérien, il s'était démerdé pour l'installer, bien que le matériel n'avait pas été fabriqué par ses soins. Lorsqu'il fit construire le cirque, il venait d'officiellement intégrer l'Ordre des pourfendeurs. À cette période, il venait d'atteindre ses 19 ans et sa fille était âgée de 2 ans. Deux rudes années où il essayait tant bien que mal de subvenir au besoin de son enfant, tout en s'assurant de trouver un toit à l'improviste chaque soir venu et ça, sans négliger son travail au sein de l'Ordre. 

Du plus loin qu'il s'en souvenait, Haiko n'avait jamais été du genre à savoir se poser. Lorsqu'il ne chassait pas les démons à travers tout le Japon, il se donnait corps et âme à son cirque, lieu de fête par excellence où l'alcool coulait à flots. La gorgée d'eau croupie qu'il avait bue peu avant de tomber sur le démon aux oreilles violine, lui restait au travers de la gorge. Il n'avait qu'une bouteille de bière allemande, provenant de sa réserve, à la main. Ce qui ferait l'affaire pour se débarrasser de ce goût infecte tapissant son palais. Il la tua en quelques gorgées avant qu'elle ne glisse de sa main. Les éclats de verres se propagèrent au sol, luisants tels de minuscules fragments d'arc-en-ciel. 

« D'humeur à manger des conneries en putréfaction? T'es bizarre! » Il cherchait quoi, là ? À le faire rire ? Haiko écoutait à moitié, perturber par l'odeur de la pièce. Les démons avaient globalement tous la même odeur de putréfaction. La même qui se dégagerait d'un cadavre rongé par la vermine. C'était d'autant plus épouvantable avec un démon collé à lui, cherchant désespérément à récupérer la peluche licorne. « Ooooh, alllleeeeeez! J'ai rien fais, je jure! Prête la moi un peu... » Le chaton pouvait s'étirer comme il voulait, il était encore loin d'atteindre le doudou qu'Haiko tenait en l'air. « Tu crois que j'aurais pu remarquer ton grabuge ? Je tiens à peine debout, putain ! T'es qu'une tâche dans le décor à mes yeux. » Ce n'était pas une insulte - elle aurait été trop puérile - il parlait littéralement. Le décor entourant le jeune démon, qui tenait plus du félin, se distordait, se courbant dans l'espace-temps. Les contours du démon étaient flous, trompant Haiko sur ses véritables traits. 

« T'es fâché? Tu sent super mauvais. » Le magicien, lassé de ce petit jeu, bouscula d'un coup d'épaule le squatteur, l'envoyant contre le mur à l'autre bout de la pièce. Le démon n'avait plus les pieds sur la couverture, ce qui permit à Haiko de s'en saisir pour envelopper sa peluche à l'intérieur. Il roula le drap sous forme de boudin avant de le laisser se dérouler, ne révélant plus aucune peluche licorne. Le magicien venait de la faire disparaître habilement. Il se débarrassa ensuite de sa couverture mouillée, la jetant sous forme de boule dans un coin de la pièce. Faire disparaître des objets où en sortir d'insolites faisaient partie des tours de magie classiques, ce qui expliquait l'aisance du magicien malgré son pitoyable état. Un tour de distraction classique, la peluche n'avait guère réellement disparue, mais était cachée avec soin dans la couverture militaire. Le tour était plus une question de distraction, exécuté à la perfection. 

« Je sens la fête. Trois nuits d'alcool, d'errance et de fumette. Toi, mon chaton, tu as la même odeur qu'un cadavre. » Il manqua même de rajouter que pourtant, il avait l'habitude avec sa jeunesse et son lot de cadavres qu'il avait laissé derrière lui. Le pourfendeur continuait d'être chancelant, bien qu'il restait adossé contre le mur de sa loge. Ivre comme il l'était, les oreilles félines aux couleurs d'orchidées, l'intriguaient. C'est tout naturellement qu'il laissa une de ses mains se balader sur la tête de ce qu'il paraissait, être un tout jeune démon. 

Le magicien appréciait particulièrement les anneaux d'or qui perçait son cartilage, c'est pourquoi il ne manquait pas de jouer avec. « Tes oreilles sont toutes douces. Je n'aurais pas imaginer qu'elles le soient tant. » Il disait cela, un large sourire sur le visage. Ses yeux brillaient de lueurs ocres, aussi dorées que les anneaux du jeune félin.  « ... Mais peut-être pourrais-tu la gagner ? Je suis d'humeur charitable, t'as de la chance. » Il avait toujours voulu faire sauter des tigres dans des cerceaux enflammés. Le démon était certes une fraude en tant que félin, mais cela suffisait au magicien. Il pouvait s'en contenter. Après tout, les événements n'allaient pas en êtres moins drôles pour autant. Par contre, il mentait sur une chose, le gain. Il se taisait sur le fait qu'il n'obtiendrait la licorne que temporairement. Parce qu'Haiko était sournois, en plus d'être éternellement fidèle à lui-même. 

a little cat under my blanket • FT. Nageru

Le pilier restait adossé contre le mur de sa loge. La pièce pouvait sembler quelque peu exiguë comparée à l'immensité de la salle principale. Haiko se voyait, son reflet se dessinant sur un grand miroir aux bords ocrés. La fatigue se lisait sur son visage marqué de cernes. Il piquait du nez, les yeux mi-clos. « Fête? » Le mot semblait l'intriguer, bien qu'il devait, probablement, déjà savoir ce que c'était. Lorsqu'il entendait la voix du chaton, il réussissait à s'extirper de cet état somnolent, durant quelques secondes au moins. « C'est toujours la fête lorsque mon cirque est ouvert. D'ailleurs, je m'étonne moi-même d'être encore en vie avec le rythme de vie que j'ai. » Il avait de la chance, le chaton ne semblait pas bien agressif pour un démon, ni même d'avoir songé a profiter de son état d'ivresse. 

Peut-être que son nouvel - et indésirable hôte était tout simplement trop lâche. Enfin, le magicien n'allait nullement s'en plaindre. Cependant, il nourrissait intiment l'espoir de faire face à un démon suffisamment joueur pour lui. Bien que le démon possédait des attributs félins, son odorat ne semblait pas suivre. En faisant le coup de la licorne dissimulée dans sa couverture anthracite, Haiko n'était que peu confiant. Il n'aurait pas pensé que le tour de magie passerait aussi bien auprès du chaton, qu'il se soit montré si réceptif. L'odeur de l'eau croupie imprégnée sur la couverture devait tout de même aider à dissimuler la peluche. « Pour de vrai? Le jouet tout doux, tu me le laissera? » Un sourire narquois se forma sur le visage du magicien. Qu'est-ce qu'il pouvait être naïf ce démon ! Il hocha la tête, non sans laisser s'échapper un petit ricanement moqueur, ses yeux d'or plantés dans ceux de son hôte. 

Durant un bref moment, son regard luisa, des flammes dansant sur ses iris. « Mais tu l'as plus, le jouet. T'es qu'un menteur! » Le démon se permit de toucher le nez du magicien qui réagit instantanément, dégageant le toucher intrusif de sa main. Un geste vif et brusque, mais que peu violent envers le démon. « Oh le gros vilain menteur. On ne t'as jamais dis que c'est pas bien de mentir? » Haiko se mit à rire. Avec son éternel sourire narquois, il était difficile de savoir s'il riait franchement ou s'il se foutait de la gueule du chaton sans réserve, aucune. « Je suis magicien ! » 

Afin de s'assurer que le démon comprenne ce que cela impliquait, il continua tout en ricanant. « Sois sage, chaton. Et je la ferais réapparaître quand j'estimerai que tu l'auras méritée. » Il fit mine de réfléchir a quelque chose, bien que son esprit se révélait étonnamment limpide lorsqu'il s'agissait de s'amuser. En réalité, Haiko savait parfaitement ce qu'il souhaitait de ce démon. « Tu vas la gagner en me faisant une prestation. Suis-moi, tu vas monter sur scène ! » Le pourfendeur rejoignit la salle principale, non sans tituber de droite à gauche, allant d'un mur a l'autre. Le magicien n'avait pas attendu le chat pour partir, disparaissant ainsi de sa vision durant quelques secondes. 

Un laps de temps qui fût suffisant pour que le chaton, en empruntant le couloir menant a la salle, se retrouve avec Haiko, bouteille a la main. Le magicien l'attendait patiemment, tout en continuant à s'enivrer. Le trajet de sa loge à la salle principale n'était pas long, ne prenant que quelques secondes en temps normal. Par chance, de larges cerceaux métalliques étaient déjà en place sur scène. Le pilier n'avait qu'à les enduire d'un liquide inflammable pour que la magie opère. Il craqua trois allumettes, une pour chaque cercles de métal qui étaient placés suivant le tracé d'un cercle englobant ces trois cerceaux de flammes. 

Les cerceaux étaient bien séparés des uns des autres, en plus d'être de hauteurs différentes. Des structures sous forme d'escalier permettaient de se lancer, de faire le saut. Haiko était au centre de ce cercle, le sourire aux lèvres. « Ai-je besoin de te rappeler que tu ne crains rien, démon ? » Il l'invitait, les bras grands ouverts, une bière dans une main.  « J'imagine que t'es aussi agile qu'un chat, nein ? » Il ricana un court instant, attendant une réaction du chaton. Les flammes dansaient plus loin, l'entourant. Dès que le cirque avait son magicien, les lieux redevenaient spectaculaires comme il en étant coutume avec Haiko. Après tout, c'était son métier d'en foutre plein la vue.