HISTOIRE - Lin ne se souvient pas de toute sa vie d'humain, il n'a que des fragments du puzzle de son existence. Cependant, il y a bien une chose qu'il ne remet jamais en doute : son amour pour la scène. Malgré sa passion brûlante et dévorante, il enchaînait les échecs. Personne ne voulait de lui. La même phrase revenait en boucle dans son esprit. On lui disait que ce n'était pas mal, mais tout de même insuffisant. Insuffisant, qu'est-ce qu'il avait pu l'entendre ce mot. Pourtant, Lin se révélait être un véritable couteau suisse. Il savait y faire dans de nombreux domaines, mais il n'arrivait tout simplement pas à créer l'étincelle dans le regard de ses spectateurs. Il lui manquait quelque chose, mais il n'a jamais su quoi exactement. Après avoir enchaîné un nombre incalculable d'échecs et quelques prestations mineurs où on lui donnait un rôle ingrat, Lin était au plus bas. Psychologiquement, il n'arrivait plus à tenir. Il se sentait invisible aux yeux de tous et ceux qu'il lui adressait la parole ne faisaient que lui cracher dessus, l'humiliant et le rabaissant par plaisir. Son art n'intéressait tout simplement personne, peu importait le domaine. Il se tuait à la tâche, ne vivant que de presque rien. 

La dépression commençait à lui ronger l'esprit, ce qui eut des répercussions dans son art, l'assombrissant davantage. Il avait des idées noires et l'envie d'en finir ne faisait que croître dans son esprit malade. Régulièrement, il s'imaginait les veines tranchées, son sang se déversant sur les pavés d'une ruelle. S'il cédait à cette pulsion, même sa mort aurait été un échec. Alors, il réfléchit à différentes façons de procéder. Le crucifiement, ça, c'était grandiose ! Ça, c'était de la mise en scène ! Lin trouvait l'idée merveilleuse, ne songeant pas une seconde qu'il aurait un second poignet à clouer. 

Au Saint Empire Germanique, il y avait une plage jonchée de macchabées suspendus à des croix chrétiennes. Il s'y rendu et décrocha, comme il put, le corps qui occupait une des structures de bois. La situation était cocasse : un corps décroché, balancé sur le sable et Lin, les pieds en équilibre sur les bras horizontaux de la croix. Il laissait pendre sa main dans le vide, entre ses jambes, tout en prenant le soin de placer son poignet contre le chêne. Cinq coups suffirent pour planter entièrement le clou et il tint bon, à la seconde près avant de chuter. Dorénavant, il était suspendu dans le vide, un clou le reliant à la croix, planté dans sa chair. Il eut l'impression de se déchirer l'intérieur du bras, que ses veines et ses nerfs venaient de se rompre en lui. Pourtant, il était solidement cloué et son corps toujours suspendu. Il resta ainsi 33 heures avant que Fuhen ne tombe dessus. 

Le démon se présenta poliment, affirmant qu'il était venu après avoir ouï ses prières. « Oooh ! Donc tu es là pour m'aider à me clouer l'autre main, c'est parfait ! Merci, merci et mille mercis encore ! Je commençais à penser qu'on allait retrouver mon corps ainsi ! T'imagines, la honte ?! J'aurais donné raison à tous ces connards qui me pensaient inapte en toute chose ! » Lin ne tenait plus en place, il se révélait impatient et agité. Ensanglanté de la tête au pied, ses mouvements faisaient vibrer le clou qui était logé dans son bras. De nouvelles giclées vinrent teinter le visage et le torse du comédien. 

Il échangea quelques paroles avec Fuhen, lui expliquant plus en détail ce qui l'avait mené dans une telle situation. Il rit à pleins poumons avec le démon et il but toutes ses saintes paroles. Pour la première fois de sa vie, Lin avait l'impression d'être compris, d'être écouté par quelqu'un. Enfin, la lumière des cieux brillait sur lui ! Le dieu, de son côté, était impressionné. Un humain capable de se clouer à une croix et en redemander, c'était peu courant. Il perçut directement son immense potentiel démoniaque et lui proposa de renaître sous une autre forme, celle d'un ange aux côtés de son seigneur tout-puissant. Du moins, c'était un peu tout comme, à quelques détails près. Lin pensa rêver, une immense joie l'envahit, à en sentir le sang palpiter dans ses veines. 

Il accepta sans l'ombre d'une hésitation. Le dieu démon le rejoint sur son perchoir, s'entaillant le creux de la main jusqu'à voir le rouge sortir. De cette main mutilée, il agrippa franchement le bras du comédien, liant ainsi leurs sangs. Lin laissa échapper un long râle de douleur, mais ce ne fut rien comparé aux hurlements qui s'extirpèrent de ses entrailles lorsque Fuhen le libéra de sa croix. Il s'écroula au sol, ses jambes flanchant sous son poids. Il avait la tête ensevelie dans le sable, soufflant sa souffrance avec dépit. Fuhen s'en alla, l'informant de fuir les lueurs du jour le temps d'achever sa renaissance. Lin obéit, trouvant refuge dans une cabane de chasseurs laissée à l'abandon. Il crut mourir tant la douleur était insupportable, ses muscles se tendaient, raides. Ses os lui donnaient la sensation de se briser à répétition. Il tremblotait, se tordant de douleur. Cette sinistre comédie paraissait interminable. La notion du temps commençait à lui échapper au fil des heures qui défilaient. 

Finalement, son calvaire prit fin et Fuhen revint après trois jours d'absence, constatant avec joie qu'il avait survécu a la transformation, mais également le carnage auquel Lin s'était adonné. Le théâtre était devenu une morgue où gisait de nombreux corps partiellement dévorés et entassés les uns sur les autres. « J'ai eu l'impression que mon œil droit s'enflammait, devenant un brasier ardent et inarrêtable. D'ailleurs, j'ai encore mal ! » C'était faux et Fuhen le comprit, lui répondant par un sourire amusé. Cependant, le traumatisme de la douleur, lui, était encore présent. Une de ses mains était posée contre le côté droit de son visage, camouflant cet œil d'émeraude. 

Lin était fidèle et éternellement reconnaissant envers Fuhen de lui avoir donné une seconde chance de briller dans cette nouvelle vie. C'est tout naturellement qu'il suivit le Dieu démon dans son voyage en Europe, avec Rensei. Cependant, Lin gardait tout de même une certaine indépendance, profitant du voyage pour inspirer son âme d'artiste. Il se plaisait à assister à chaque exécution publique, fréquentait les bas quartiers des villes à la recherche de proies afin de reproduire ce qu'il voyait, en le sublimant. En rue, il racontait des fables inventées par ses soins, glorifiant les exploits du grand Fuhen : l'unique et véritable Dieu en ce monde. Il donnait vie aux histoires, la foule l'écoutait attentivement, captivée. Lin avait bon nombre de qualités, il avait la sensation de briller lorsqu'il propageait les saintes paroles de son Dieu. Il a toujours été proche de Fuhen, sans toujours l'être physiquement.

Au fil du temps, le pouvoir de Lin se devenait de plus en plus problématique, sa puissance ne faisait que croître, encore et encore. C'en était devenu effrayant, même pour son détenteur qui se voyait se vider de son sang lors d'utilisation prolongée. Lin pensa pouvoir le contrôler, mais il n'en était rien. Les années défilaient autant que le nombre de ses meurtres accidentels. Au bout d'un moment, il dut se faire une raison : son pouvoir était tout simplement incontrôlable. Il dut se résoudre à utiliser un cache œil afin de ne pas représenter un danger pour les siens ou pour lui-même. 

Lin ne fut pas présent lorsque Rensei et Fuhen furent vaincus et contraints à trouver refuge au Japon. Sur le coup, il s'en voulut beaucoup de ne pas avoir été présent. Peut-être aurait-il réussi à renverser la situation ? Il s'est longtemps posé la question, mais lorsqu'ils arrivèrent au Japon, Lin changea d'état d'esprit. C'était l'occasion de redémarrer sur de bonnes bases. Il comptait bien en profiter pour propager la voie de Fuhen à travers son art macabre.

1666 ans se sont écoulés depuis sa transformation en démon et Lin représente un des plus fidèles membres du culte Kokuren, atteignant la deuxième place en tant que Byakuren.