an unforgettable night • FT. Kazuki

Le spectacle s'offrant à Lin était magnifique, il laissait son regard se perdre sur l'œuvre qu'il venait d'achever. De fins fils d'argent transperçaient le paysage, assemblés de sorte à représenter une toile d'araignée. Sous les lueurs opalines de la lune, de purs éclats rebondissaient sur les filaments tissés. Dessus, quelques parties de plusieurs corps démembrés la décoraient. Les filaments étaient enroulés à chaque extrémité de chaque membre, si serrés que du sang s'écoulait de cette chair. Comme à son habitude, il n'avait pas chômé. Le Byakuren avait installé sa création à l'orée du bois. Lin n'avait guère choisi les lieux par hasard, le village étant en contrebas, personne en ville ne pouvait rater le spectacle ! 

La joie lui gonflait le cœur, les mains jointes sous forme de prière devant son œuvre. Les étoiles du ciel s'étaient logées dans ses iris. Le Byakuren avait dérobé les organes de ses proies, les posant ensuite sur un linceul de peau au pied d'un arbre. Lorsqu'elles étaient encore en vie, Lin avait pris le soin de prélever cette peau au niveau de la base de leurs pieds ainsi qu'aux paumes des mains. Il se souvient encore des délicieux cris qu'avaient exprimés les misérables avant que ceux-ci ne soient piégés dans sa toile. Un feu crépitait aux côtés du démon blanc, s'affaiblissant peu à peu. Il venait de poser un genou au sol, reniflant l'odeur émanant des organes enveloppés par le linceul. Il jetait ce qu'il trouvait répugnant, ne gardant que les morceaux épargnés de toute substance nocive au corps. 

L'alcool et le tabac lui pourrissait tant la viande que distinguer un organe sain d'un corrompu se faisait à vue d'œil. Malgré ça et fine bouche comme il l'était, il se servait tout de même de son odorat. Il n'y avait pas besoin d'être un grand buveur ou un grand fumeur pour dégoûter le Byakuren. Même les consommateurs occasionnels ne lui revenaient pas. Finalement, de toutes ses proies, il n'avait gardé que deux poumons, un cœur et un thymus. 

Avec quelques plantes aromatiques, il fit rissoler le tout durant de brèves secondes. Ensuite, il les reposa soigneusement sur le linceul. Avec ses griffes, il découpait en petits morceaux, les portant ensuite jusqu'à sa gueule. Le Byakuren prenait son temps, profitant de chaque arôme se déversant dans sa gorge. Lin avait l'esprit tranquille, insouciant. Alors qu'il mangeait assis au pied de l'arbre, une odeur de démon vint lui caresser les narines. Venait-il après avoir été subjugué par son œuvre ou étaient-ce les effluves de sang qui l'avait attiré jusqu'ici ? Il allait bientôt le découvrir parce que cela se rapprochait du démon blanc. 

Ce qu'il lui apparut sous le clair de lune fut un immense démon, il le surplombait de toute sa grandeur. À côté, Lin qui n'avait guère bougé de sa place, toujours assis au pied de l'arbre, semblait minuscule. Il resta à sa place, plongeant son regard émerveillé là où serait théoriquement les yeux de la créature. Il s'était arrêté de manger, les mains posées au sol, l'une contre l'autre, son dos s'était décollé de l'arbre pour se redresser. Lin ne portait pas son cache œil, lui portant un regard empli d'admiration. Il était sur le cul, dans les deux sens du terme. De longues secondes s'écoulèrent avant qu'il ne prenne la parole. « Tu es si beau. J'ai l'impression de voir une de mes œuvres dans laquelle on aurait insufflé la vie. » D'un bond, il se redressa, faisant face au démon, il le salua d'une courbette accompagnée de son plus beau sourire. Ses bonnes manières ne l'ayant pas quitté, il lui abaissa son chapeau, le déposant contre son cœur. Le Byakuren ne le quittait pas des yeux. Il y avait quelque chose d'étrange. Lin le ressentait, mais il peinait à l'identifier.


« C'est étrange... Tu ne saignes toujours pas. Et cela, même après tant de temps à me regarder ! » Il se redressa et en s'approchant davantage, les mains derrière les dos, il se suréleva sur la pointe des pieds. Évidemment, il avait remarqué ce masque de fer camouflant les yeux du démon, si seulement il en avait. « Oooh, je pense avoir compris ! Tu n'es simplement pas affecté par mon pouvoir, maintenant que j'y pense, ça fait sens vu que je ne peux voir tes yeux ! » Autant dire qu'il était foutu s'il ne parvenait pas à lui faire bonne impression. Cependant Lin était confiant, nulle crainte ne corrompait son âme. 

Il était bien trop émerveillé pour se laisser aller à des émotions propres aux proies. Toute l'aura malsaine se dégageant du démon étranger, son sourire carnassier qui semblait figé, c'était fascinant. « C'est bien la première fois qu'une telle situation m'arrive, mais c'est pas pour m'en déplaire ! » Le Byakuren, sans expérience du combat et sans Hypnosis, avait toutes les raisons du monde pour se laisser gagné par l'effroi, mais non. Ce n'était pas ainsi qu'il percevait la situation, voyant le positif avant tout. Si son pouvoir était parfaitement inefficace, cela signifiait aussi qu'il ne risquait pas de le blesser accidentellement ! Lin se voyait déjà chasser avec lui. Puis... avec un si beau sourire, c'était impossible qu'il ne soit pas de bonne compagnie !

an unforgettable night • FT. Kazuki

Il était grand, bien plus que Lin qui laissait son regard se perdre sur la créature. Le démon blanc lui portait le même regard que lorsqu'il contemplait un paysage. C'était comme si le démon au masque de métal faisait partie du décor, comme s'il n'était pas plus qu'un arbre. Les yeux sont le miroir de l'âme, est-ce que cela signifiait que ce démon en était dépourvue ? S'il n'avait pas d'âme, c'est qu'il était mort. Pourtant, il bougeait, respirait. « Je ne vois pas comme toi. » Et il parlait ! Sa voix était proche de l'indescriptible. Les sons qui en sortaient étaient comme rouillés et métalliques. Du moins, c'était ce à quoi Lin comparait sa voix. À ses oreilles, elle n'était pas déplaisante. Enfaîte, elle lui allait même bien, lui collant parfaitement à la peau. 

Il était aussi maigre que le Byakuren qui se demandait si, dépourvu de sa tenue en cuir, on voyait ses os. Tout comme sous sa tenue blanche, les os de ses hanches et ses côtes étaient parfaitement dessinés. « Comment alors ? » Le démon dirigea son regard manquant vers l'œuvre du Byakuren. « Mais c’est un beau dîner au clair de lune que tu as là. » Est-ce qu'il parlait de sa toile ? Alors, c'est qu'il pouvait la voir ! Un large sourire se forma sur le visage du démon blanc. « N'est-ce pas ? J'aime bien me poser dans de beaux endroits. C'est juste dommage que le goût ne soit pas à la hauteur de la somptuosité du paysage... » Derrière son œuvre, il y avait le vide. Lin l'avait placée le plus au bord possible, afin de s'assurer qu'elle soit parfaitement visible une fois le jour venu. « Peu de démons… ajoutent des assaisonnements sur leur viande. » Étonnamment, il ne semblait pas le juger pour cela. Peut-être était-ce une impression alimentée par le fait qu'il n'avait pas d'yeux pour le fusiller du regard ? Possible, mais Lin ne voulait pas y croire. Le démon, dont il ne connaissait le nom, lui semblait davantage surpris que dans le jugement.

« Oh, je fais même plus que rajouter quelques herbes sur ma viande ! Vu que j'étais seul, je n'ai pas pris la peine de réellement cuisiner, mais j'y met plus de cœur quand j'ai quelqu'un à mes côtés ! » Pour Ryuji, il cuisinait réellement, avec du riz et tout ! Seul, c'était différent. Il ne cherchait jamais à faire compliqué, se contentant bien souvent de ce qu'il avait sous la main. Le plaisir n'était tout simplement pas le même et le démon blanc n'était pas le genre à apprécier la solitude. Celle-ci ne lui était que plaisante lorsqu'il se consacrait à ses œuvres. Il s'approcha de son œuvre, s'abaissant pour passer entre les nombreux fils constituant son art. Ses pieds étaient au bord du vide, le regard plongé sur le village en contre-bas. 

Il avait bien envie d'y refaire un tour. Il avait envie de s'amuser, pouvoir s'abandonner à toutes ses lubies et à son sadisme. Il avait soif d'hurlements, de larmes et de sang. « Je n'ai jamais pu profiter pleinement lors de mes chasses en duo. Je devais tout le temps éviter de regarder mon partenaire dans les yeux, surveiller mes paroles et tout le temps faire attention à tout, enfaîte ! » Son agacement était limpide, mêlée à une certaine mélancolie. Lin avait toujours été sociable, mais la puissance et le non contrôle qu'il avait de son pouvoir, faisait qu'il était bien souvent rejeté par ses congénères. On l'avait envoyé balader un nombre incalculable de fois. Il n'y avait que Rensei en ce monde qui était heureuse lorsqu'ils chassaient ensembles. Lin rejoignit le démon en écartant les fils sur sa route, prenant les mains du démon dans les siennes. « Par contre, avec toi, il n'y a aucun risque ! Tu me ferais l'immense plaisir de chasser avec moi ? » Lui demandait-il avec son meilleur regard de chien battu. « Je t'en prie ! En ma compagnie, tu ne seras pas déçu. » Il n'était même pas conscient du ridicule de la scène. Lui qui jouait sa plus belle lueur de tristesse face à un démon qui ne voyait pas comme lui. « Je suis même certain de rendre ta nuit mémorable ! » Intérieurement, il priait qu'il accepte. Il avait tant envie d'apprendre à connaître ce beau démon se tenant devant lui. Lin ne connaissait pas meilleur moyen que la chasse pour créer des liens avec ses semblables.

an unforgettable night • FT. Kazuki

« Les gens évitent de me regarder. Quand ils le peuvent. » Lin ne comprit pas que le démon faisait preuve d'humour, le prenant au pied de la lettre. En levant l'index vers le ciel, il prit une attitude un peu plus sérieuse. 

« Ah bon, pourquoi ? Moi, je trouve que t'es un beau démon qui mérite d'être regardé ! » Dans un sens du moins. On pouvait dire qu'il y avait une certaine beauté en ce démon. Lin imaginait que, d'un point de vue humain, il devait même être terrifiant ! Ce qui revenait un peu au même du point de vue du Byakuren. Parce que tout ce qui pouvait y avoir de terrifiant en ce monde était forcément beau pour Lin. « Kazuki. » Ça sonnait bien. « La plupart se préparent en ce moment à dormir. Je crois… qu’on pourrait en attraper quelques-uns. » 

Le démon blanc ricana, c'était une évidence. Ce soir, il y allait avoir bien plus que quelques morts. Parce que Lin n'était pas familier avec la notion de limites, lui qui n'en avait quasiment aucune dans sa cruauté. « Je préfère les enfants, cela dit. » En entendant cela, il perdit son sourire. « Oh... si tu les veux vivants, je ne crains pouvoir te donner satisfaction... » Il avait l'air désolé pour lui, mais ce n'était qu'un rôle qu'il prenait là. Il était confiant pour cette nuit, persuadé d'intéresser le démon qui venait de gagner son attention. S'il était imaginatif, Kazuki allait rapidement les oublier ! 

Lin en était certain. « Pas que je sois pourvu d'une quelconque morale, mais dès que je les regarde, ils se vident de leur sang à une vitesse folle ! Je n'ai même pas le temps de dire un seul mot... » Ce qui, finalement, n'allait être qu'une maigre gêne. Lin ne comptait guère changer ses habitudes, visant directement un groupe. S'ils pouvaient même trouver une foule entière, c'était encore mieux ! 

« Préfères-tu le silence ou un incendie de taille ? » Lin avait un lien particulier avec le feu, il aimait ça. Laisser son regard se perdre sur des flammes rongeant peu à peu le bois, l'odeur et la chaleur qui en émanait... Tout cela était un délice pour ses sens. Le problème était qu'un incendie ne passait que rarement inaperçu, mais peut-être pouvaient-ils quand même prendre le risque ? Le démon blanc hésitait, les coudes levés et les mains placées à l'arrière du crâne, il avait l'air pensif. 

Ce village... Au final, ce n'était qu'un bled paumé. Combien de temps avant de voir des pourfendeurs arriver ? Ça l'étonnerait même pas qu'ils puissent voir les premières lueurs de l'aurore avant même de sentir le nichirin dans l'air. « Va pour les flammes ! » Lin raviva son feu et prit une bûche enflammée dans chaque main, se précipitant au bord de la falaise. Ensuite, il emprunta un petit chemin grossièrement taillé dans la roche. De cette place, il avait une vue imprenable sur des ballots de foin. Il lança les bûches, les laissant atterrir sur la paille qui s'enflamma. 

« Maintenant, on peut y aller ! » Si le vent était avec eux, alors il ne serait pas compliqué pour le feu de se propager jusqu'aux bâtisses. Lin descendu de la falaise, usant de ses griffes qui scièrent la roche. Il se rattrapait à des points stratégiques, lui permettant de s'arrêter dans cette non-ascension. Ensuite, il reprenait son rythme, atteignant le village ainsi. Pour le moment, le calme régnait sur les lieux. Personne ne remarquait les flammes qui prenaient de plus en plus d'ampleur. Lin était debout, au milieu de ses deux ballots de foin, le sourire aux lèvres et les mains derrière le dos. 

an unforgettable night • FT. Kazuki

Kazuki le suivit jusqu'à atteindre le village. Les flammes avaient grandi et elles étaient splendides ! Lin prit un instant pour les contempler, des étincelles luisant dans ses iris vairons. Les voir grignoter peu à peu le bois, les nuances qu'elles arboraient étaient magnifiques. Elles dansaient entre-elles, se nourrissant de tout combustible potentiel. « Ton pouvoir… je doute qu’il ne fasse pas que vider tes ennemis de leur sang. N’est-ce pas ? » Ces mots, prononcés par le démon, sortirent Lin de son émerveillement. - si l'on pouvait le qualifier comme tel. - Ce sentiment que ressentait le Byakuren était particulier, complexe et difficile à expliquer.

Il était en totale admiration, les flammes et la chaleur qu'elles dégageaient étaient apaisantes. Lin n'entendait pas les cris des villageois, il n'entendait que le feu. Enfaîte, il était comme hypnotisé par ce brasier grandissant à vue d'œil. « Il serait plus amusant qu'ils... participent à la fête. » Cette fois-ci, Lin dirigea son regard vers Kazuki, tournant la tête vers le démon au sourire d'ange. « Tu as bien deviné ! Effectivement, mon pouvoir est un peu plus complexe que ça. D'ailleurs, le fait que mes proies se vident de leur sang n'est qu'un effet de ce dernier. En réalité, j'ai la capacité d'hypnose. »

Après une courte pause, le Byakuren reprit la parole, développant davantage. « En d'autres termes, j'ai une multitude de potentiels esclaves à mes pieds en permanence ! Tout le monde m'est dévoué, je peux littéralement leur faire faire n'importe quoi et, malheureusement pour eux, je ne suis que peu familier au concept de “ limites. ” » Lin ne disait que la stricte vérité, il ne pouvait pas se montrer plus honnête. « Après tout, que serait un démon enchaîné de principes ? Mis à part une infâme aberration de la nature. » Les démons qui essayaient de se donner bonne conscience avec un code d'honneur le répugnaient profondément.

Ils étaient contre-nature aux yeux du Byakuren, n'étant que des déchets qui ne méritaient guère l'honneur de vivre plus longtemps sous forme de démon. À ses yeux, ils n'étaient que des bêtes malades qu'il valait mieux abattre. « Je me souviens d'une nuit où je m'étais pris la tête avec un Ne. À ce moment-là, j'étais encore un jeune démon, imprudent et impulsif. J'ai fini par lui dire d'aller se faire foutre dans les bas quartiers et... c'est ce qu'il a fait ! Il ne m'a plus jamais reparlé depuis. » Il en ricana, l'anecdote ayant pour but de donner une idée des nombreuses possibilités s'ouvrant à Kazuki avec ce pouvoir entre les mains.

« Fais de moi ton arme pour la nuit, je serais à l'écoute au moindre de tes ordres. À moins que tu ne préfères que je te donne le commandement directement ! Je pourrais très bien contraindre ces misérables à se soumettre à toutes tes lubies. C'est toi qui vois. » Ces derniers mots étaient peut-être mal choisis, mais Kazuki avait l'idée. Lin lui donnait deux choix : soit, il passait par le démon blanc pour contrôler les civils soit, Lin lui donnait les pleins pouvoirs. Cela pouvait peut-être sembler être du pareil au même, mais la première solution pouvait permettre plus d'échange dans leurs idées démentes. Entre-temps, les flammes s'étaient propagées et les civils fuyaient comme des lapins terrorisés. Plusieurs arrivèrent droit vers les deux démons et avant qu'ils ne puissent réagir, Lin plongea son regard dans les leurs.

« Au pied ! Venez à moi et agenouillez-vous. » Sans grande surprise, ils écoutèrent le démon blanc. En un rien de temps, il venait d'offrir à Kazuki quatre humains sur un plateau d'argent. « Maintenant que tu en sais un peu plus sur moi, puis-je avoir connaissance de ton pouvoir sanguinaire ? Qui sait... Cela me donnera sûrement des idées de sévices à leur infliger. »