HISTOIRE -

J’ai toujours été un peu fou. Différent en tout cas. Au point que mon frère qui a dix ans de moins que moi, veillait beaucoup sur moi lors de nos sorties. Je ne me rappelle plus avoir eu un grand frère. Pourtant, sa perte m’a amené à vouloir protéger ce petit bout de toutes mes forces. Rien n’importait plus que ça à mes yeux.
Nos parents, dont mon père qui semble être venu d’une contrée lointaine et à qui je ressemble un peu, étaient de simples agriculteurs sans prétention. Nous n’étions pas riches, mais plutôt heureux. Malgré ces conflits à cause de ce que j’entendais, que ça existe ou non, tout allait bien. Jusqu’à… ce que ça arrive…

J’avais seize ans. J’étais parti avant l’aube chercher un cadeau pour mon petit frère avec les quelques pièces que j’avais réussi à économiser afin de lui souhaiter un bon anniversaire. Mon humeur était au beau fixe, heureux à l’idée de lui faire plaisir avec cette petite surprise. Il était certain qu’il allait me pardonner d’avoir un peu brisé notre promesse et d’être sorti sans lui. Et comme je n’avais frappé personne, il allait pouvoir être fier de moi ! L’idée d’être félicité ne pouvait que me mettre de bonne humeur. C’est pour ça que je courais vers ma maison, tout sourire.

“Chiyo !! Tu ne devineras jamais ce que j’ai…!!”

Une odeur étrange m’accueillit. Je la déteste depuis ce jour-là. Elle m’effraie. Les voix s’éveillèrent. Quelque chose n’allait pas et, alors que j’étais sur le pas de la porte, je terminai ma phrase avec moins d’entrain, réalisant ce qu’il se passait :

“... trouvé…”

Il y avait du sang partout. Mes parents se trouvaient dans tous les coins de la maison. Et Chiyo, mon cher petit frère, dans les bras d’une créature qui marchait sur ses deux jambes, avait deux bras, deux yeux, un nez, une bouche, des cheveux… Il me ressemblait mais n’était pas humain. Pire que moi dans mes mauvais jours. J’avais peur. Très peur. Mais…

“Chiyo…”

La chose se tourna vers moi. Elle me regarda un instant avant de se lancer sur moi. Habilement, je l’esquivai et allai chercher la hache que nous utilisions pour couper le bois. Les voix se montrèrent utiles. Grâce à elle, j’ai réussi à l’esquiver de justesse et à lui asséner un coup. Mais ce n’était pas assez. Je manquais de force. J’ai couru. Aussi vite que possible. Le soleil a eu raison alors qu’il ne faisait que se lever. La créature brûla non sans me laisser une cicatrice sur ma jambe.

Après une année à me remettre de mes blessures, j'ai décidé de partir à la chasse aux démons. Personne n'a pu me retenir et je suis parti en quête de vengeance. Il me fallut plusieurs mois de marche et de moments de folie, à attaquer un peu tout ce qui m’entourait, avant de trouver une personne qui me prit sous mon aile. Un pourfendeur utilisant le souffle de la lune. Il veilla sur mon bien-être et m’apprit ce qu’il savait, très curieux de ce qui causait mon tempérament très particulier. Puis, quitte à vouloir aller à la mort, autant que ce soit avec quelques armes en main, selon lui. Il lui fallut un peu de temps pour me dompter et m’inculquer ses connaissances. Les voix ne m’aidaient pas dans l’entreprise. Pourtant, à grand renfort de persévérance et de travail, je parvins à acquérir des armes pouvant me permettre de combattre mes ennemis jurés, les démons.

C’est donc à l’âge de vingt ans que j’allai à l’examen pour devenir pourfendeur. Mon bienfaiteur m’avait dit avant mon départ que si je n’en revenais pas, c’est que mon destin n’était pas de chasser. Il m’avait à de nombreuses reprises laissé le choix de revenir sur ma décision, d’y réfléchir plus amplement. Rien n’y avait fait et c’est ainsi que je pus rejoindre l’examen, la sélection finale, sur le Mont Fujikasane.
Ce furent les nuits les plus longues de ma vie. Et, d’un autre côté, les plus satisfaisantes. Je pouvais les tuer jusqu’à plus soif. Je fus blessé mais je passais facilement outre, dans l’euphorie du moment. La prudence n’était pas un concept que je parvenais à concevoir. Du moins… les trois premières nuits. Par la suite, je parvins à trouver un camarade qui m’aida à me temporiser, à trouver un équilibre entre mon envie de meurtre et ma sécurité. Grâce à lui, je parvins à revenir vivant. Je reçu alors mon minerai qui me donnerait alors un magnifique katana violet clair, mon uniforme et un corbeau de liaison. C’est donc éreinté mais victorieux que je rentrai auprès de mon maître d’arme. Celui-ci se montra aussi surpris qu’heureux de me voir de retour et, pour la première fois depuis la perte immense que j’avais subie, je fus entouré de bras chaleureux.

Ainsi débuta ma vie en tant que pourfendeur. Accompagné de mon ami Hiromi rencontré lors de la sélection finale, je pus accomplir de nombreuses missions et monter de quelques grades. Je recommençais, à ses côtés, à ressentir l’envie de goûter aux joies de la vie. Il était patient, attentif et savait se montrer sévère pour me recadrer quand il y en avait besoin. Ce garçon était juste et courageux. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenu. Ensemble, nous avons tué de nombreux démons en cinq ans de chasse. Nous avons monté quelques grades. Nous avons fait de notre mieux. Mais… faire de son mieux n’est pas assez. Je l’ai appris à mes dépends…
Pendant une mission qui aurait dû être assez simple, nous nous sommes retrouvés face à un démon plus coriace que nous le pensions. Nous étions préparés. On ne partait jamais sans avoir prévu le pire. Pourtant, ce ne fut pas suffisant. La bataille fut rude. Elle dura la nuit entière. Pourtant, le démon prit la fuite, laissant derrière lui un cadavre que j’ai refusé de reconnaître. Je suis resté planté là, regardant cet homme défiguré et sans vie. Les voix n’ont eu de cesse de me rappeler la souffrance qui ne faisait que détruire un peu plus mon cœur et grandissant un peu plus ma haine viscérale pour mes ennemis jurés. Plus jamais je ne m’arrêterais de les chasser !

Pendant un an, je n’ai fais que courir. Au nom de l'Ordre qui reste ma maison. Au nom des disparus. Aujourd’hui, malgré mes blessures, même quand j’ai faim, je ne prends pas le temps de me poser. Ou que très peu. Le temps de manger une pomme ou de me perdre dans la recherche de LA pomme pour finalement rester l’estomac vide. Je ne distingue plus le bien du mal. Je ne distingue plus le réel de mes hallucinations. Ceux qui ont tenté de m’aider ont sans doute perdu la vie, eux aussi. Je m’en fou. Mon épée est usée. Je m’en fou. Mon parapluie ne me protège plus de rien. Je m’en fou. Mes membres sont dans le même état que les guenilles qui me couvrent. Et même ça, je m’en fou. Tout ce que je veux, c’est tous les tuer, jusqu’à ce qu’il ne reste aucun d’entre eux ! Personne ne m’en empêchera ! Jamais ! Jamais...