Kiri darda sa prunelle sur le soleil, plissant l'œil pour ne pas qu'il brûle sous les rayons puissants d'une matinée de fin d'été. Une main en casquette, elle poussa un soupire réprobateur et finit par placer ses deux poings sur ses hanches.
Bon sang, il en mettait du temps à revenir. Lui qui se vantait d'avoir une monture rapide, Kiri était certaine qu'à ce rythme elle pouvait battre son cheval à plate couture et sans forcer.

La fille du feu pesta et commença une infinitude de pas, ses bottes de cuir claquant régulièrement et nerveusement sur le plancher du bâtiment. Sous le couvert d'un toit, elle observa de loin quelques furtifs donner un coup de neuf à des uniformes. Dans une ultime tentative de noyer son attente, Kiri finit par s'assoir sur le bord du plancher, les jambes dans le vide. Elle glissa sa lourde épée sur ses cuisses et s'occupa d'en parfaire le tranchant.

A mesure que la pierre glissait sur l'acier nichirin dans un doux son de frottement comme un métronome, son reflet se dessinait sur le rouge de la lame.
Cavalcade non loin, tira la pilier de sa maigre occupation. Kiri se leva d'un bond, et rangea son épée dans son dos, d'un geste assuré. Elle s'était postée non loin de l'entrée du QG, pour être certaine de le cueillir dès son arrivée.
Lui là.

Hiro Oroshi.
Kiri darda son unique oeil sur le visage de son ami, et suivit son cheval noir qui alla directement s'abreuver après une longue course. Nul doute que le pilier de l'eau avait du pousser sa monture depuis un moment. La pourfendeuse flatta l'encolure de la bête pendant qu'elle étanchait sa soif, non sans lancer une pique à son confrère.

« T'es en retard. »

Regard réprobateur, sourcils froncés. Expression qu'elle ne tint par plus de trois secondes à peine. Un sourire fendit son visage chaleureux à l'entente de la salutation du samouraï. Elle lui tendit son poing et saisit le sien, dans une poignée de main forte.

« Eh bien, j'aurai préféré te revoir dans d'autres circonstances... » Un coup d'œil aux alentours. « Trouvons un endroit où les oreilles ne trainent pas, tu veux ? »

Son habituel ton jovial ne matchait pas avec son expression grave. Si ça ne mettait pas la puce à l'oreille au pilier de l'eau quant à la gravité du sujet dont Kiri voulait lui parler...
La fille du feu fit signe à un furtif de s'approcher et lui indiqua de prendre soin de la monture de son frère d'armes, avant de s'engager vers la sortie du QG. Ici, il y avait trop de monde.
Une fois assez éloignés, et après un dernier regard en arrière pour s'assurer qu'ils étaient bien seuls, Kiri engagea la conversation tout en marchant.

« J'ai revu Haiko Jäger, notre confrère pilier de la brume, il y a peu. » Autant rentrer dans le vif du sujet tout de suite. Kiri comme Hiro n'aimaient pas tourner autour du pot après tout. « Ça ne s'est pas bien passé, entre nous. »

Kiri ne souriait plus du tout.

« Je pense qu'il m'a droguée. »

La main qui vint se placer sur son épaule fut la bienvenue et Kiri ne s'attendait pas à ce que ce simple contact la soulage autant. Elle ne s'était pas rendue compte à quel point cette histoire l'avait perturbée. En même temps, elle avait côtoyé Haiko de longues années, elle avait pleuré dans ses bras lorsqu'elle avait perdu son frère. Il avait pleuré dans les siens lorsqu'il avait perdu sa fille. Kiri s'attendait à tout sauf à ce qu'il se montre finalement... un potentiel ennemi ? Elle ne savait pas trop.
Dans tous les cas, son cœur ne savait plus où placer sa confiance concernant le magicien. Mais elle était pilier, elle devait prendre une décision, qu'elle quelle soit.

Hiro lui accorda sans attendre ses explications une entière foi en ses mots. La fille du feu releva son visage vers lui, son regard se posant dans celui de cet homme qu'elle pouvait décemment appeler "ami". Les mots qui suivirent réchauffèrent son cœur encore plus, soufflant sur des braises déjà vives et un feu déjà fort. Elle n'avait jamais remis en doute l'amitié du samouraï à son égard, mais l'entendre le dire était quelque chose de précieux. Dans un geste peut-être impudique, Kiri passa un bras autour de l'épaule d'Hiro et vint coller son crâne contre le sien, avant de se remettre à marcher droit et respectueusement, comme ils en avaient l'habitude. Ils étaient familiers l'un de l'autre, pourtant, l'affection et la tendresse se faisaient rares et d'autant plus précieuses.
Kiri, par ce geste, souhaitait répondre en écho aux sentiments formulés par le pilier de l'eau.

Tout en marchant dans les ruelles et en s'éloignant d'oreilles indiscrètes, Kiri lui raconta ce qu'il s'était passé au chapiteau.

Comment il était venu l'accueillir après sa prestation chaleureusement, comment il l'avait menée à sa loge et proposé à boire. Elle expliqua à Hiro avoir émis l'hypothèse de l'effet de l'alcool, mais il la connaissait aussi bien qu'elle se connaissait sur ce point : ce n'est pas une seule bière, peu importe sa provenance, qui mettrait Kiri dans un état second.
Elle lui raconta ensuite tout ce qu'il s'était passé sur scène, les effets psychédéliques, les sensations d'un monde fait de verre, pouvant la tranchant à chaque instant, le sol qui se dérobait à ses pieds, sans pourtant le faire vraiment. Elle lui raconta tout en détails, jusqu'à sa prise de conscience et le très léger accroc qui avait bien failli être une première étincelle menant à un combat entre elle et Haiko.

« J'ai préféré partir et en rester là, c'était le plus sage. » conclut-elle.

Elle se garda bien de parler de Kanade, chez qui elle avait trouvé refuge ensuite. Bien qu'elle avait mis ça sur le dos d'une visite habituelle chez la miko, Kiri avait eu besoin de la voir pour calmer ses nerfs et ses inquiétudes, retrouver le calme dans son esprit de feu.

« Mais je ne veux pas émettre de jugement qui s'avérerait faux contre notre confrère. » ajouta t-elle en se tournant vers Hiro, s'arrêtant de ce fait, bras croisés sur sa poitrine. « Qu'est-ce que tu en penses, franchement ? »

Ce faisait-elle des idées ? Kiri n'en savait trop rien mais son instinct contrariait sa raison et son cœur. Elle ne savait pas plus quoi croire et remettait même en doute son vécu sous le chapiteau. Mais, elle n'avait pourtant pas rêvé... Si ?
Kiri regarda autour d'elle. Ils avaient marché jusqu'à la périphérie de la ville. Juste à côté, il y avait une restaurant proposé repas et saké à bas prix. La jeune femme perdit son regard sur l'écriteau, pensive quant à toute cette histoire.