Mumei s'est encore éloignée du village. Ça fait quelques jours qu'elle n'est pas en rentrée. Elle ne s'inquiète pas de si on la cherche ou pas, elle a déjà disparu plusieurs jours, les forgerons sont habitués. En revanche, ce qu'ils ne savent pas c'est qu'elle part plus loin qu'à l'habitude. Mumei étend le territoire qu'elle connait, elle explore. Elle repousse les limites du monde qu'elle connait. Là dans la forêt, il y a aussi sa maison. Mais la maison, elle est plus près du village.
Ici, elle est dans une forêt qu'elle ne connait pas.

La nuit est tombée, doucement. Elle a apporté avec elle la fraîcheur nouvelle d'une fin d'été. Mumei frissonne. Les poils sur ses bras nus s'hérissent et elle a la chair de poule. Elle presse sa fourrure contre elle et couvre sa peau tant bien que mal. Elle dormirait bien en boule au creux d'un arbre mais elle a vu une lumière au fond de la forêt. La lumière l'appelle. Elle s'y rend.

Un petit hameau, tout petit. Avec une étable. Les gens dorment, il n'y a que les cris et bruits des animaux pour perturber le calme apparent. Tout semble normal, pour ce lieu. Mumei ne veut pas rentrer chez ces gens, mais elle rentre chez la maison des animaux. Les cochons crient un peu sur son passage, avec sa peau de bête. Ils ne la connaissent pas. Mumei s'immobilise le temps qu'ils se calment. Elle préfère dormir avec les chèvres. Elle a peur que les cochons la dévorent pendant la nuit. Mumei s'installe dans la paille, et les chèvres l'observent d'abord apeurées. Bien vite, elles se tranquillisent en ne la voyant pas bouger. L'enfant-loup s'est roulée en boule au chaud dans un coin. Elle sent l'odeur de l'étable tout autour d'elle. Elle ferme les yeux.

Ça gigote et ça s'inquiète. Mumei ouvre un œil. Elle s'est endormie quelques heures, peut-être. Elle reste immobile en devinant bouger dans l'obscurité les chèvres qui s'attroupent dans un coin de leur enclos. Mumei, d'instinct, sait que quelque chose ne va pas. Les chèvres étaient tranquilles : il doit y avoir quelque chose qui leur fait peur. Elle hume l'air.
Odeur de carcasse.
Mumei sait ce que cela signifie.

Elle ne bouge toujours pas. Ce n'est pas comme avec Nobara, qui l'avait surprise éveillée. Elle a toujours en tête les paroles de Kohaku : il faut se méfier des démons. Alors elle attend. Peut-être qu'elle ne craint rien. Mais peut-être que cette fois, elle sera attaquée.
Mumei sert son arc tout contre elle, les yeux ouverts dans l'obscurité, derrière son masque de céramique et sous sa fourrure de poils blancs. Le silence est menaçant.

Les bêtes paniquent de plus belle. Le démon s'approche. Mumei ne l'entend pas pourtant. Elle le sent juste, elle pressent. Elle regarde du coin de l'œil les chèvres qui s'attroupent à l'autre bout de leur enclos, se serrant les unes contres les autres en fuyant la mort. C'est l'odeur que porte les démons après tout.
Mumei pince son nez et respire calmement. Peut-être ne l'a t-il pas encore remarqué ?

Dans l'obscurité, elle le devine qui s'avance. Elle voit des longues jambes fines et terribles. Il vient vers elle. Mumei reste calme et silencieuse. C'est comme si elle est dans son corps sans l'être. C'est juste son esprit qui la protège d'une peur panique. Elle le voit qui s'arrête enfin. Il ne bouge plus et le temps se suspend. Jusqu'à ce qu'un râle sorte de cette créature de l'ombre.
Mumei essaye de le voir un peu plus, elle lèvre les yeux derrière son masque rouge et discerne dans le noir une silhouette encore plus noire. Un éclair pourfend le ciel et lui permet, l'espace d'une seconde, de voir les dents longues. Elle retient son souffle.

Il parle enfin, et elle a du mal à comprendre ce qu'il dit. Sa voix est particulière et siffle autant qu'elle agresse les tympans. Mumei veut plonger dans le sol pour disparaitre. Pourvu qu'il ne la voit pas.
Il parle de souffle, de bête. Elle ne comprend pas.

Enfin, il dit la sentir.
Elle frémit. Elle ne peut pas rester indéfiniment immobile. Mais elle ne sait pas s'il compte l'attaquer tout de suite si elle bouge. Si elle reste là à ne rien faire, il va finir par tomber sur elle, c'est sûr. Mumei a peur. Kohaku avait raison. Elle aimerait trouver refuge dans ses bras et lui demander pardon. Elle ferme les yeux, et se dit que c'est peut-être un cauchemar. Elle se mord l'intérieur de la joue.
Il faut bouger.
Elle repense à la nuit de sa rencontre avec Miyuki.
Bouger.
Bouger c'est vivre.

« Mumei aussi te sent, et tu sens la charogne, comme Miyuki. » elle débite très vite, pour avoir le temps de parler avant qu'il ne réagisse. Elle a peur qu'il agisse comme les enfants quand on joue à trouver des personnes les yeux fermés. Dès qu'ils entendent un bruit, ils se jettent dessus. Mumei ne veut pas qu'il se jette sur elle. « Est-ce que Mumei peut se lever ? » Peut-être que si elle lui demande gentiment, il ne va pas la manger. Elle prend appui sur sa main, engageant déjà la position qui lui permettra de se relever. Mais elle attend comme ça.
Elle a peur, mais elle attend.

Mumei attend. Ses yeux écarquillés par la peur, derrière son masque, fixent un point devant elle. Le démon est grand, et maintenant qu'elle s'est un peu habituée à l'obscurité, elle devine la silhouette encore plus noire que la nuit qui les entoure. Il est juste devant elle, tout près. Appuyée sur une main, le bras à moitié tendu, elle a suspendu son geste en attendant la réponse du démon. Du moins sa permission. Car après tout, elle sait très bien que sa vie ne lui appartient plus à cet instant.
Il répète le nom de Miyuki, de sa voix sifflante, brisée comme un miroir. Mumei cligne des yeux, elle attend toujours.
Finalement, au lieu de la libérer avec sa réponse, il la prend, littéralement.

Mumei glapit de peur lorsque la main osseuse se pose sur son épaule et attrape la fourrure blanche. Instinctivement, elle porte la sienne par-dessus, pour essayer de le décrocher. Il la soulève comme on soulève une feuille morte. Elle ne fait pas le poids devant lui. Elle gigote un peu, choquée. La main agrippée à celle de Kazuki puisque c'est son nom. Elle cherche désespérément à trouver une emprise sur la sienne, peine perdue. Ses doigts s'efforcent de serrer chacun de ceux du démon, dans l'espoir dans trouver un qui lâcherait. Il la porte à son niveau. Son regard tombe sur le visage sans yeux du démon. Elle ne voit que ses grandes dents qui luisent un peu dans la noirceur de la bergerie.

Mumei se tétanise. Elle écoute la voix criarde, qui fait trembler ses tympans. Elle ne sait pas ce qu'elle doit faire ou dire. Il dit qu'il est surpris et curieux. Qu'elle s'est bien cachée. Mais ça n'a servi à rien : Kazuki l'a trouvée et maintenant, il la tient. Mumei a peur de faire un faux pas et qu'il la tue. Ce serait tellement simple pour lui. Il la soulève comme si elle ne pèse rien, elle pressent que cette main peut lui briser les os. Dans l'espoir de s'en défaire encore, même si c'est perdu d'avance, Mumei prend appui avec ses pieds sur le bras qui la retient dans les airs. Elle pousse un peu, et la fourrure se tend dans les doigts de Kazuki. C'est la fourrure qui la retient prisonnière de son emprise. Elle se replace, et la fourrure glisse, juste un peu. Son masque aussi.
Alors elle ne bouge plus. Elle ne veut pas dévoiler son visage. Mumei remet la céramique en place, rapidement. Voilà, elle se sent un peu mieux.
Juste un peu.

Kazuki n'a pas l'air de bouger maintenant, et il a fini de parler. Mumei a abandonné l'idée de se libérer, même si elle a toujours ses petits pieds sur le bras du démon, les jambes pliées et ses mains autour de la sienne. Elle le tient, comme il la tient. Elle veut qu'il la libère mais ça... Il le fera quand il en aura décidé ainsi.

« Mumei est Mumei. » répond t-elle d'une voix faible, de peur de l'énerver. « Les humains sont les humains. »

Ah voilà, il bouge. Mais ne la lâche pas pour autant. Ils descendent tous deux d'un étage : il s'est accroupi mais la tient toujours en l'air. Il est si grand pour elle qu'elle ne touche toujours pas le sol. Alors Mumei tente le tout pour le tout.

« Peux-tu poser Mumei ? » demande t-elle.

Après tout, il l'a bien autorisée à se lever. Bon, d'une drôle de façon, mais il a accepté. La situation est étrange. Mumei marche sur un fil, elle le sait. Mais elle n'a pas d'autre choix que de rassembler son courage et sa résilience, pour ne pas craquer devant la terreur.
Elle aimerait courir dans les bras de Kohaku.

Elle se perd dans le reflet de la faible lumière nocturne sur les dents blanches et longues du sourire du démon. Kazuki est horrible et il le sait, il en joue. Mumei sent qu'au moindre faux-pas, il lui prendrait la vie. Le démon la maintient en l'air, et même si elle s'appuie avec ses petits pieds sur son bras, elle ne peut se libérer de son emprise. Elle espère simplement qu'il accepte sa demande, sur un malentendu ça peut passer... Et effectivement, aussi surprenant que ça puisse être pour Mumei, le démon acquiesce et la pose sur le sol. Dans l'obscurité, elle patine un peu mais se sent soulagée lorsque ses pieds touche la paille. Pour autant, le fait de poser pied à terre la rappelle entièrement à l'instant présent et à la terreur qui lui tiraille le ventre.

Mumei se recroqueville un peu, petite chose.
Ses yeux bruns ne veulent pas quitter le visage désastreux de Kazuki, et ses oreilles saignent de l'entendre parler. Tout en même temps, elle aimerait prendre ses jambes à son cou et s'enfuir loin d'ici. L'adrénaline bat son sang, et la maintient tout en éveil. Il n'y a aucune fascination dans son regard. Il n'y a que la peur, une peur profonde et vraie. La peur de mourir.
Mumei sait que les démons chassent et mangent les humains. Elle sait que c'est dans leur nature, que c'est ainsi. Que dans la pyramide alimentaire, ils sont au-dessus. Elle le sait, c'est dans l'ordre naturel des choses.
Elle a peur pourtant, comme le lapin ou le daim qui attend son heure. Comme le loup lorsque, la queue entre les pattes, il regarde la mort venir le prendre. Humain ou démon, peu importe finalement : Mumei est en-dessous de tous.

Kazuki commente sur son existence et son identité. Il se demande quel goût elle a, si elle n'est ni humaine ni animale. Elle n'ose pas lui dire qu'elle est humaine mais tout en même temps qu'elle n'arrive pas à se sentir ainsi. Mumei se tait, immobile, pétrifiée. Elle voit le masque rouge dans les dents jaunies. De si près, elle peut voir quelques morceaux de chair encore coincés entre les crocs. Elle déglutit.
Kazuki continue avec ses questions. Il lui parle de l'acier nichirin. Elle a déjà entendu ce mot au village, les forgerons en parlent souvent. La lame des pourfendeurs, dit Kazuki. Mumei n'en sait rien. Elle sait juste qu'au village, on fabrique les armes de soldats, elle les voit passer, visiter, puis partir. Kazuki lui demande alors si elle est une ennemie, si elle ne peut pas devenir son amie.

Elle tique puis frissonne lorsque la griffe crisse sur la céramique écarlate. La main devant son petit nez sent fort le cadavre. Il pue la charogne, comme Miyuki. Pourtant, quelque part, ce n'est vraiment pas la même odeur. C'est comme les gens, ils ont tous une odeur différente. Mumei perd son regard dans le vide et se déconnecte d'elle-même un instant. Elle se rappelle l'odeur de Kohaku. Elle inspire et ne sent que celle de Kazuki.

« Kazuki... Kazuki-tan a dit qu'il a faim. » elle ne sait pas trop si elle doit s'aventurer par ici, mais ça lui semble le meilleur moyen de détourner la conversation. Les démons et les pourfendeurs ne font apparemment pas bon ménage, et il semble la prendre pour l'une d'entre eux. Mumei n'a rien à voir avec eux. « Peut-être Mumei peut lui cuisiner quelque chose. »

L'enfant ose relever ses yeux par delà les dents acérées et cliquetantes, qui n'attendent que de la croquer. Il n'a pas d'yeux pour qu'elle y fixe les siens. Il a dit vouloir devenir son ami... Mais il lui fait peur. Mais c'est un démon. Peut-être... Elle se souvient de Miyuki et de la façon dont elle l'a approchée... Peut-être que Kazuki ne sait pas s'y prendre, simplement ?
Elle se raccroche à cette idée. Oui ça doit être ça. Il ne veut peut-être pas la manger, finalement. Peut-être veut-il être son ami.

« Mumei peut être l'amie de Kazuki-tan, s'il la laisse faire. » lui propose t-elle, totalement apeurée.

Encore une fois, c'était une question de confiance. Entre eux, plus fragile que jamais. Comment peut-elle lui faire confiance sachant qu'il peut la tuer d'un simple mouvement sur un coup de tête ?
Lui par contre, confiance ou non, il est tranquille. Mumei n'est qu'un moucheron à côté.

Sur un malentendu... ?

Mumei ne se détend pas plus. Le démon a une aura terrifiante pour elle, si petite. Il est très menaçant malgré son calme apparent, et ne manque pas de lui rappeler qu'au moindre faux pas, elle finira embrochée comme un cochon. L'enfant ne sait pas à quoi se raccrocher pour ne pas céder complétement à la terreur. Son cerveau fait le travail à sa place, la met dans un état de sidération et la laisse complètement à la merci de Kazuki.

Elle sent son étreinte sur son épaule, les doigts qui se posent sur son corps tout frêle. Il la mène vers l'extérieur de la bâtisse. Les animaux fuient et crient dans la panique. Ses jambes en coton ne la maintiennent que peu, aussi Kazuki la tient-il fermement. Mumei porte son regard là où le démon pointe du doigt. La maison du fermier, avec sa famille ici. On peut voir à travers le rideau de pluie qu'une lumière s'est allumée depuis leur arrivée à tous les deux.
Les cris des animaux ont du alerter le propriétaire des lieux. Mumei aimerait lui dire de ne pas sortir, mais aucun son ne traverse ses lèvres, muettes, collées l'une à l'autre.

Kazuki ne démord pas de l'odeur de l'acier qui empeste les vêtements de Mumei. Elle ne sait pas comment se défaire de ce traquenard. Il lui fait une proposition bien étrange et lunaire. Elle pense faire un cauchemar dont elle ne peut juste pas sortir. Mais on finit toujours par se réveiller, pas vrai ?
Peut-être qu'il faut juste laisser la nuit passer. Elle se réveillera le lendemain, et ça n'aura été qu'un mauvais rêve.

Les paroles du démon ne font pas écho dans l'esprit de Mumei, trop occupé à protéger son intégrité mentale. Pourtant, lorsqu'elle le sent se pencher vers lui pour lui tendre son visage sans regard, elle porte le sien sur lui.
Garder son sang froid, respirer. Survivre.
Elle reste silencieuse un instant, procède à ce qu'il vient de lui dire. Jouer à un jeu ? Mais Kazuki est dangereux. Il faut qu'elle s'assure de sa sécurité.

« Mumei veut bien jouer mais Kazuki-tan doit promettre de ne pas lui faire de mal. » dit-elle d'une voix tremblante.

Jouer, elle n'a pas le choix. Mais qui ne tente rien n'a rien. Peut-être acceptera t-il de ne pas la bousculer de trop et de ne pas lui prendre sa vie ou un membre ou que sais-je. Mumei espère très fort.
Pour montrer sa bonne volonté et gagner les faveurs du grand démon, elle ajoute d'une petite voix :

« A quel genre de gage Kazuki-tan pense t-il ? Comment Mumei peut jouer à son jeu ? »

Le tonnerre s'est tue, et elle n'entend dans ses oreilles que les geignements des animaux apeurés et le fracas de la pluie. Elle ne sait pas combien de temps encore va durer la nuit.
Elle pense à Kohaku.

Mumei a peur.

Là dans la maison, on commence à s'agiter et Mumei prie silencieusement pour que personne n'ouvre la porte et ne les regarde dehors. Elle prie pour ces gens qu'elle ne connaît pas, elle ne sait pas pourquoi, ne devrait-elle pas être indifférente à leur sort ? Ne le seraient-ils pas eux, si elle était à leur place ?
Mumei sent l'emprise du démon sur elle, et elle ne peut rien faire contre. Son souffle est lourd, il pèse dans sa poitrine et c'est comme si une tonne pèse sur ses épaules. Ce n'est que le bras de Kazuki, pourtant. Elle peut sentir ses doigts contre son bras nu. Sous la bruine, ils se tiennent prêts à se laisser engloutir par la nuit.
Mumei espère que ce n'est que la nuit qui l'engloutira.

Mumei ne retient pas son frémissement, écho au grondement du grand démon. Cache-cache, impose t-il de sa voix déraillée. Cache-cache, alors.
Ses indications et les règles fusent dans le cerveau de Mumei. La panique la gagne. Trois heures, elle ne sait pas très bien ce que c'est, mais elle suppose que c'est long. L'enfant-loup vise donc le bout de la nuit. Il a l'air si loin, le bout de la nuit... Elle sent la peur lui tirailler les entrailles.
Dix minutes d'avance. Elle ne sait pas ce que c'est, dix minutes, mais elle se dit que c'est bien court.

Mumei oublie ce qu'elle devra faire si elle perd. Elle préfère ne pas y penser : elle n'est pas encore prête à ce genre de choses. Mumei perd ses moyens lorsqu'un éclair traverse le ciel et les éclaire d'un flash qui disparait comme il est venu. Mumei est terrifiée. Elle n'ose pas le regarder lorsqu'elle le sent se tourner vers elle.
Elle hoche la tête et s'avance dans la forêt, qui la dévore.

Mumei ne sait pas quoi faire. Mumei ne sait pas où aller, ni où se cacher. Elle se met à courir, une fois sous le couvert des arbres, comme si cela suffirait à ce qu'il ne la rattrape pas. Au fond elle sait : il peut la trouver quand il le souhaite. La nuit c'est lui. La nuit l'engloutit. Elle sent comme un froid sur son bras, là où il y avait les doigts du démon. Elle n'y voit rien, à travers l'obscurité et la pluie. Des branches lui fouettent le visage et lui griffent la peau. Elle court.

Mumei a très peur.
Mumei se perd.

Elle halète, elle a déjà perdu son souffle dans la panique qui la transperce. Son petit être n'est que terreur. Elle court comme un lièvre qui fuit un coyote, en moins bien, en moins agile. En moins rapide.
Mumei trébuche. Elle arrête sa course, le genou écorché par sa chute. Mais elle ne sent pas la douleur, elle a trop peur. L'adrénaline embrume complètement les sensations de son corps. Elle a l'impression qu'elle va mourir bientôt. Sensation de mort imminente.

Bruit sourd d'explosion. Elle couine, se recroqueville sous une souche d'arbre après y avoir couru dessous à quatre pattes. Mumei pose une main sur sa bouche et son nez. Elle respire mal et fort, elle a besoin de reprendre sa respiration abîmée par sa fuite folle. Autour d'elle, le silence. L'écho de l'explosion glisse entre les arbres et disparait dans la nuit. Est-ce qu'elle aussi elle va disparaitre cette nuit ?
Mumei est tétanisée.

Elle ne bouge pas, reste cachée. Incapable de trouver assez de courage pour affronter l'obscurité et le grand démon pâle au sourire de chacal. Mumei enfonce sa tête entre ses genoux, elle essaye de ne pas faire de bruit. Elle laisse couler des larmes silencieuses sur ses joues, derrière son masque.
La pluie continue de tomber. Elle donnerait tout ce qu'elle possède pour retrouver la chaleur du corps de Kohaku.
Elle aimerait ne pas être là.

Mumei écoute les bruits de la forêt qui s'est tue. Elle appréhende d'entendre les pas de Kazuki. Elle frissonne. Sous la pluie, elle a froid.
Elle a froid et elle a peur.

Mumei se tait, sous la souche d'arbre. Elle murmure pour elle-même des mots rassurants, des prières et des incantations sorties de sa tête. Sa fourrure blanche est trempée. Elle n'est pas bien plus sèche. Les jambes repliées contre son torse, les bras les entourant, elle se berce tout doucement mais à un rythme régulier. Dans l'obscurité de la nuit et de la pluie, elle attend.
Elle attend que le temps passe. C'est interminable.

Mumei pose une main contre sa bouche, derrière son masque de céramique rouge. Elle tremble. Elle le voit.
Il est là, grande silhouette sombre qu'on devine à travers la pluie. Un éclair pourfend le ciel et il n'y a plus de doute : ce n'est pas une apparition, ce n'est pas son imagination. Il est vraiment là, au milieu de la petite zone clarifiée. Mumei s'est figée. Elle aimerait hurler, couiner, reculer encore plus profondément dans la souche de l'arbre où elle a trouvé refuge. Elle réfute un sanglot silencieux. Mumei est terrifiée. Elle aimerait ne jamais être partie de la maison. Elle regrette, en ce instant précis.

Et là, tout va vite. Un truc vole, et s'écrase avec fracas non loin d'elle. Les yeux écarquillés, elle a pressé ses deux mains contre sa bouche et son nez, retient sa respiration et un cri de terreur et de surprise. Mumei aimerait s'enfuir loin. Mumei aimerait disparaître. Elle a failli crever là, écrasée par ce que le démon a projeté. Mais elle est toujours en vie. Elle ne sait pas si c'est mieux.

Elle le devine, entre le rideau de pluie et la nuit, et le voit porter à ses oreilles ses mains. Un bruit sourd éclate en écho et lui arrache un sursaut. Il s'est frappé les oreilles, très fort. Mumei s'est encore figée, son cœur a manqué un battement, mais il est maintenant complètement affolé.
Mue par son instinct, elle se décide enfin à bouger. Mumei sort de sa cachette à quatre pattes, et commence à s'éloigner en essayant de faire le moins de bruit possible.

Il n'a pas l'air de l'entendre. Elle s'enfonce dans les buissons, et les ronces la griffent. Sa fourrure en laisse quelques poils blancs. Mumei se coince, se débat un peu, sort enfin des buissons en rampant. La boue, la pluie. Le froid, la nuit.
Elle regarde derrière elle, en direction du grand démon. Il a bougé. Elle se fige une nouvelle fois.