- Tu crois qu’on devra être de garde cette nuit encore ?

- J’sais pas. Probablement.

Assis sur un rebord en extérieur sur un des rares sentiers menant directement vers l’entrée de leur palais, sous des tonnes de roches, deux démons discutaient. Le vent d’été apportait une douce brise et des lucioles, au loin, volaient, imperturbable insecte.

- Miyuki va y être envoyée.

- C’est grave à ce point ? Tu crois qu’elle y sera seule ?

- Je ne sais pas. Mais si elle est envoyée, c’est qu’il y a un gros problème qui peut devenir le nôtre à nos portes.

- Comment ça s’est passé, tout ça ? Je suis tout le temps de garde en bas.

- Hmm.

Le démon en question se grattait le cou en y pensant, l’air un peu abruti. Non pas qu’il en était un. La seule chose qui faisait pomper son sang était de pouvoir être envoyé en mission par le chef de la famille. Qui ne le serait pas ? Mais la plupart du temps, lui-même était de garde en surface quand le soleil n’était pas présent.

- Ça a commencé il y a un mois. Comme tu le sais, il y a toujours des marchands qui passent par là. Obligé, y’a pas énormément de ports dans le coin et ce chemin est très important, puisque prendre l’autre obligerait à faire des semaines de voyage. Or, quand on y envoie nos gars pour récolter de la viande pour notre dîner… Ils ne reviennent pas. On pense qu’ils ont décidé de faire les marioles et ont mangé sur place. Miyuki ou même le Père aurait pu le faire. Or, pas de trace. Pas de sang. Rien du tout. Merde, les humains ont passé. La nuit suivante, on y envoie d’autres gars. Eux aussi ne sont pas revenus. Et c’est comme ça depuis un mois, jour pour jour. On a beau y envoyer des gars, ils ne reviennent jamais. Ce n’est pas comme s’il y avait des Pourfendeurs non plus, et encore moins des Piliers, on l’aurait su. On ne retrouve jamais de trace.

- Et qu’est-ce qui fait que c’est que maintenant qu’on décide d’envoyer Miyuki, et pas avant ?

- Parce qu’elle n’est pas qu’occupée à l’Antrefort, elle a des fonctions importantes ailleurs aussi. On envoyait toujours des groupes de deux ou trois démons. Mais hier, dix ont été envoyés. Quand on est allé les chercher le lendemain, c’est là que les choses ont vite viré au cauchemar. Parce qu’on a retrouvé un fossé, cette fois-ci.

- Et il y avait quoi, dedans ?

Le démon se taisait. Puis il tourna son regard vers le plus chétif des deux.

- Les possessions des précédents démons retrouvés. Le collier d’Ayaka, le bracelet de dents de Pourfendeurs de Takeshi… et quand on les rassemblait, ça donnait un massage qui a été gravé sur eux.

- Ça disait quoi ?

- ‘Merci pour vos compagnons. Ils étaient délicieux.’

- … Merde. Si ce n'est pas un Pourfendeur, c’est un démon qui cannibalise d’autres démons ?

- Sans doute. Et vu que Miyuki est souvent occupée ces temps-ci, personne n’aime l’embêter.

Les deux démons se turent, observant le dehors.

- C’est vrai qu’elle est effrayante quand elle s’y met. Surtout quand il y a un beau garçon. Heureusement, ça n’arrivera pas avec nous, hein ?

Ils rirent un instant. Et se turent. Le silence fut réconfortant. Ils remarquèrent quelque chose.

- Ah tiens, ce n'est pas elle qui part justement ?
 
***

L’arbre grinçait. Le feuillage aussi. La route en question, un véritable carrefour généralement occupé par des marchands qui voyageaient de jour comme de nuit, était aussi silencieux qu’une tombe et se trouvait à plusieurs heures de marche de l’Antrefort. De bruit, c’était le bruissement du feuillage, les grincements de l’arbre sous le vent qui venait de se lever, et les criquets qui s’appelaient. Mais bientôt, cet endroit connaîtrait en effet une véritable chasse à l’homme.

Un bruit d’os qui se brisait, et Kazuki en aspirait la moelle. Au sol, une démone errante, en quête d’un dîner facile, avait eu le malheur de tomber sur le Démon Pâle. Il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour pouvoir profiter de son repas. Cannibaliser des Démons était vu comme tabous parmi eux, mais Kazuki ne se plaignait rarement de grand-chose. Après tout, la viande était de la viande, et si elle était vivante au moment où il le dévorait, alors tant mieux. Elle gigotait. Sa trachée avait été ouverte et la pauvre peinait pour se régénérer en plus d’un abdomen complètement ouvert et dénué de poumons à présent. Elle était jeune. Au mieux quelques mois.

Ses yeux étaient écarquillés. Le Démon Pâle s’était relevé. Il releva sa tête. Son sourire restait toujours aussi présent. Et pas une seule goutte de sang sur lui. Propre, discret, comme toujours.

Le vent portait une odeur très forte avec lui et il se dit que, pour cette fois, cette nuit, il pourrait profiter du goût d’une viande riche en force.

La démone cligna des yeux.

Kazuki avait disparu. Des bruits de pas se faisaient entendre alors.

 Il inspira des narines.

Il passa sa langue entre ses dents.

En un râle léger, il ouvrit la bouche.

Comme un véritable obsédé, il ne pouvait qu’imaginer, que réécouter les os se briser sous ses dents, que de sucer la moelle et de laisser sa saveur imbiber sa langue, que de mastiquer la viande tout en sentant l’odeur de panique pure s’échapper de ce qui avait été la trachée de sa dernière victime, avant qu’il ne lui arrache les poumons.

Un simple mouvement avait été nécessaire pour satisfaire son besoin de se nourrir. Quelque part, il était accroché. Mais son ouïe était telle que même de sa position, il pouvait entendre clairement la conversation qu’avait une Démone et ce qui avait été son dîner. Son odeur même était porté dans le vent. Elle n’était pas effrayée. Il dénotait déjà une prudence certaine, mais visiblement, elle était surtout en colère. Ah. Il était probablement entré dans un territoire qui n’était pas le sien. Un démon solitaire puissant ? Un groupuscule ? Le Démon Pâle s’interrogeait. Non, cette Démone donna une réponse. Une famille.

Le Chitsujo était hors de question. La notion de famille y était presque inconnue. Le Culte de Kokuren, probablement. Il ne restait qu’une seule possibilité, et c’était le Kishinkai. Il se dit qu’il était alors entrer dans leur territoire. Elle n’était pas venue accompagner cependant. Soit elle était une Démone surestimant sa position, soit elle était une haut gradée… et à l’odeur, il penchait pour la deuxième solution.

Elle n’était plus seule. Il ressentait une variation avec son ouïe. Le vent se levait et transportait de nouvelles odeurs en sa direction. Des odeurs très similaires au repas qui était en train de se régénérer… Mais révélateur. Son pouvoir sanguinaire serait de se cloner partiellement ? Il se demandait alors à quel point ils seraient gênants.

Kazuki se laissa tomber au sol et se réceptionna gracieusement, avec un minimum de bruit digne des Shinobi. Le Démon déroula sa longue queue caudale sous ses vêtements, avec lequel il s’était servi pour s’accrocher à l’arbre. La terre était sèche. Il n’avait pas plus depuis des semaines ici.

Les arbres l’étaient aussi.

Parfait.


Un des trois clones apparut au moment où Kazuki se fondit dans les ombres. Seule la lune offrait une quelconque luminosité, ici et là, quand elle arrivait à passer au travers de la canopée et des tiges de bambou. Ce clone en question avait visiblement aperçu un mouvement suspect, mais elle ne put parler. Un froufrou dans l’air et la faucille sombre avait fauché le cou de la démone clonée… Qui disparut dans une sorte de nuage de cendre.

Kazuki, d’un seul bond, rejoignit la canopée d’un arbre. Il entendait des bruits de pas se précipiter, au loin, vers sa position. Alors ils pouvaient aussi ressentir la perte de l’un des clones ?

Kazuki émit un grondement léger, avant de bondir d'un autre arbre, puis d'un autre, s'éloignant du lieu de son crime, avec la ferme intention de se faire pourchasser.

 Doué était un euphémisme.

Le plus jeune ninja, de son temps en tout cas, à avoir atteint un rang très élevé qui était l’équivalent d’un Gardien du Chitsujo. Celui qui avait passé les entraînements hauts la main après avoir été traîné dans la boue, dans les forêts tropicales du Japon, à travers les insectes, la faim, la soif, les parasites, pour ne serait-ce que prouver sa place parmi les Shinobis de son temps. Dire que Kazuki était un cauchemar contre qui l’on se battait était un compliment qui lui rendait bien honneur. Son fanatisme pour le Chitsujo n’avait eu d’égal que la sauvagerie dont il faisait preuve, en plus de ses techniques d’infiltration.

Une ombre qui prenait forme physique quand on le défiait au combat. À qui l’on avait appris à en engager 10 dans un duel, mais à faire ressentir sa présence parmi une centaine d’entre eux. Ce nombre n’avait cessé de croire depuis qu’il était devenu un Démon. Sa légende aussi. Mais maintenant, il n’était que murmures parmi les Démons ayant vécu assez proches du temps de l’Ancestral. Et seuls les plus savants historiens parmi les Pourfendeurs pourraient, probablement, trouver des mentions d’un Démon qui avaient terrorisé leurs ancêtres combatifs, Piliers comme simple Kinoe.

Il se trouvait cependant dans un autre territoire, face à une Démone qui était, en toute somme, très en colère, et il entendait très bien son cœur en train de battre. Le Démon Pâle bondit sur un autre arbre. Dans l’air, il sentait le reflux du vent, écarté par un objet lourd. Un rocher d’une taille très impressionnante apparut, et écrasa la façade de l’arbre, incluant la branche, sur laquelle il allait s’accrocher. Alors qu’il était dans une position propice à s’accrocher à quelque chose, il changea en plein air et contorsionna son corps pour redistribuer son poids, pour ne pas perdre de sa vitesse, et tomba vers le sol. Grâce à la manœuvre en question, Kazuki réceptionna son corps au sol dans une roulade parfaite, suivit d’un bond en utilisant son bras comme un ressort pour éviter des buissons de ronces, avant de glisser au sol sous des racines épaisses.

Un véritable acrobate, un maître dans son art de l’agilité, de la conservation de l’énergie et de l’efficacité. Kazuki émit un simple souffle d’amusement, se remettant debout avant de courir de nouveau parmi les arbres et les obstacles naturels. Le Démon Pâle entendait les bruits de pas se rapprocher de lui. Avec l’âge, un Démon pouvait devenir rapide, fort, endurant. Kazuki avait été affamé pendant une cinquantaine d’année suivant la découverte de sa trahison. Malgré le fait qu’il restait toujours un danger constant, cela l’avait profondément marqué. Il n’était plus comme avant.

Il sentait qu’elle le rattraperait bientôt. Mais Kazuki assumait, avec une certaine prudence, qu’elle n’était pas aussi douée que lui pour l’acrobatie. C’est dans cette idée qu’il décidait de s’enfoncer dans la forêt, là où les troncs d’arbres devenaient plus gros, les sentiers praticables plus difficile et la canopée plus épaisse.

Elle se rapprochait. Très vite. Calculant combien de temps elle arriverait à le rattraper, Kazuki eut une idée qui pourrait tourner la situation légèrement en sa faveur. Il effectuerait des mouvements pour tenter de retourner en haut, dans les arbres, pour ensuite utiliser un des branchages comme un élan pour tournoyer son corps et l’envoyer contre le tronc d’un arbre voisin, pour ensuite se retourner et bondir comme un ressort trop tendue vers la Démone, afin de l’attaquer avec sa faucille. Mais selon ce qu’il voyait, avec son écholocalisation… Elle avait une ombrelle ?

Curieuse arme.

 L’odeur si particulière du fer des Pourfendeurs qui rencontre la chair emplit l’air.

Le Démon ne pouvait pas utiliser de Souffle. Mais ce n’était pas n’importe quel démon qui pouvait se battre avec une lame de Nichirin. Cela revenait à utiliser l’arme de l’ennemi. Mais une arme était une arme, de la même manière qu’un feu était un feu. De limites dans son utilisation, il n’y avait que celle de la maîtrise, de valeurs dépassés et de sa créativité. Et Kazuki était tout sauf quelqu’un sans imagination. Le Démon Pâle sentait que le combat se révélerait plus âpre que prévu et que d’attaquer de front serait une véritable horreur pour faire durer le combat.

L’ombrelle avait résisté à la lame de sa faucille. Kazuki était surpris de sa résistance tout comme de l’originalité de l’arme, sincèrement. Il se dit qu’il avait à faire à quelqu’un qui était probablement l’équivalente d’une ancienne Geisha de haut rang ou une noble proche de la famille impériale… mais l’odeur de Miyuki venait de solidifier le fait qu’elle était plus puissante que lui. Son sang était dotée d’un arôme que l’on ne trouvait que chez les plus puissants démons. Mais Kazuki ne s’en démordait pas. Au contraire.

Le compliment lui fit chaud au cœur, cette chose nécrosée qui faisait vivre cette abomination sur pattes en fit même tout un bond. Au sens figuré. Même s’il appréciait la chose. Le Démon Pâle pencha sa tête de côté en faisant tournoyer paresseusement sa faucille du bout des doigts.

- Je préfère la troisième option. Continuer de me rassasier.

La chose était faite. La situation ne le permettrait pas de partir impunément. Des blessures, il en récolterait. Kazuki sentait que l’un des clones avait disparu… et l’odeur devenait plus forte pour celui qui restait. Mais celle de Miyuki venait de perdre en intensité. Elle pouvait se cloner et quelque part, il se dit que plus elle donnait de cette odeur, plus cela voulait dire qu’il devenait plus puissant, plus consistant.

Gérer les deux serait dur. Seul la défensive et la contre-attaque s’ouvraient comme possibilité, mais la troisième possibilité était aussi de s’enfoncer plus loin dans la forêt. Mais pour cela, il fallait les appâter.

Kazuki ouvrit les hostilités. Fonçant soudainement au pas de course, il compterait sur son agilité, son temps de réaction et sa défense pour durer un moment. Dans un mouvement brusque du corps apparaissant comme une tentative d’attaque avec sa faucille en levant son arme, il se laissa tomber sur le dos et glissa au sol soudainement avec une vitesse impressionnante pour tenter de faucher les talons d’Achille de l’une des deux Miyuki avant de tenter de se remettre debout dans un mouvement rappelant dans le futur un break-danse dans un tournoiement des jambes pour les repousser et peut-être les attaquer sous la force, dont l’impact sera augmentée avec la vitesse, et se remettre debout, prêt à réagir.

Dans le meilleur des cas.

 Dévorer par un autre Démon.

Brûler par le Tyran des cieux.

Un choix de mort très nuancé. Mais il savait qu’un Démon qui tenterait de le dévorer serait alors un Démon qui souffrirait. Oui. Ils finissaient tous par souffrir, ceux qui coupaient dans sa chair, ceux qui y mordaient, car alors ils étaient aspergés de ce sang infâme qui rongeait les chairs, les os, la pierre. Ses attaques et ses coups de pieds ne firent pas flancher ni la Démone, et encore moins l’ombrelle qu’elle tenait, mais elle ne se laissait pas faire. Une douleur vive se propagea dans le bras de Kazuki, mordue par la démone.

Son poignet était dégoulinant de sang et il dut se rétablir dans un ample mouvement pour se remettre debout. Il avait lâché sa faucille, alors que l’impressionnant coup de dent avait arraché des tendons, et perdit l’arme dans un fossé non loin. Les gouttes d’acides au sol faisaient bouillir la terre qu’il touchait, créant déjà des trous d’une taille respectable. Le Démon Pâle observa sa blessure, malgré son manque de yeux apparent. L’artère avait été sectionnée et un humain normal se serait vider de son sang. Mais Kazuki n’était pas un humain. Kazuki était habitué aux champs de bataille les plus chaotiques.

Miyuki s’était débarrassé de son arme et l’avait alors donné au clone le plus puissant, dont l’odeur était similaire en tout point sauf en termes d’intensité, accompagnée d’un autre clone qui était encore vivant. La ‘vraie’ avait une odeur plus faible. Moindre. Son Pouvoir Sanguinaire lui permettait donc de se cloner, mais elle devait éparpiller sa puissance ? Kazuki, toujours en observant sa blessure, utilisa une impulsion du pied pour éviter un mouvement de glissement de la part du clone la plus faible qui s’était déplacé avec une vitesse étonnante, mais il plia des genoux pour se baisser et éviter un coup d’ombrelle. Il décida d’appeler celle-ci la Numéro 1 et la plus faible la Numéro 2.

La Numéro 1 lança son ombrelle dans l’air dans un mouvement fluide et rejoignit vite Kazuki qui se remit debout pour donner un coup de coude au prochain coup de poing de la Numéro 1 afin de le dévier, suivit d’un coup de tête qu’elle se prit en plein visage. Mais la Numéro 2, qui était en train de courir vers eux, avait attrapé l’ombrelle et bondit à partir d’une pierre pour abattre l’arme sur Kazuki qui dut rouler vers l’arrière afin d’éviter de se faire écraser, bien qu’il aurait aimé briser la trachée de la Numéro 1 du plat de sa main.

En tant que ninja, ses techniques de combat au corps-à-corps étaient mortelles et efficaces. Ils étaient certes des espions et des saboteurs, voire des assassins d’abord, mais c’était des machines à tuer au fond. Sans l’ombrelle, il aurait pu les vaincre. Mais l’étrangeté de l’arme, qu’il n’avait jamais vue au combat, faisait en sorte qu’il devait être prudent, surtout qu’il était plus résistant qu’il ne paraissait. Kazuki sentait l’odeur de l’acide qu’il avait laissé derrière lui dans chaque mouvement. Sa blessure était déjà en voie de guérison.

Évitant un coup de pied puissant, Kazuki fit un mouvement de tombée vers l’arrière et évita un coup d’ombrelle de la Numéro 2 en usant de sa main valide comme un support tandis qu’il faisait une sorte de salto arrière au niveau du sol, se remettant aussitôt en position de combat pour dévier le coup de poing de la numéro 1. Elle était douée. Mais elle était une Démone, et elle semblait compter, selon son Pouvoir Sanguinaire, sur sa puissance et son pouvoir pour tuer et se débarrasser de ses cibles. Kazuki, lui, comptait sur ses talents et ses connaissances.

La vrai Miyuki était encore faible. Il avait là un avantage conséquent et il pouvait voir sa position. Relâchant un râle presque affamé, à peine avait-il eu dévier le coup de poing de la Numéro qu’il lâcha une pluie de coup sur son assaillant, qui servait davantage à la faire reculer, frappant plusieurs fois vers l’estomac et aspergeant quelque peu de l’acide sur son corps depuis sa plaie à moitié guérie et refermée avant de devoir reculer pour éviter les coups d’ombrelle. Le tissu servait autant de boucliers que d’une massue. Les bouffées d’air créées suite au mouvement rapide de la Numéro 2 suffisaient à le prouver.

Cette fois-ci, le Démon Pâle prenait des coups. Plusieurs fois dut-il se défendre contre les assauts combinés des clones de Miyuki, qui étaient visiblement bien coordonnées et contrôlées. Deux côtes fêlées, et il tomba au sol et se fit donner un coup de pied par la Numéro 2 dans une direction en particulier. À peine s’était-il remis debout que la Numéro 1 fonçait en parallèle pour le frapper de son ombrelle qu’il se remit debout… et le coup fut porté.

Pour le bonheur du Démon Pâle.

Les tuer n’aurait pas été un problème majeur, mais ils représentaient un défi pour le Démon Pâle. Cependant, son objectif n’était pas de les tuer, mais… de se diriger vers Miyuki. Le coup puissant l’envoya valser dans le décor vers le fossé ou s’était trouvé sa faucille et il s’était alors remis debout par la suite pour bondir sur la surface d’un arbre et, en utilisant ses muscles, se donna une impulsion pour sauter à pleine force en direction de la vraie Miyuki…

Avec la ferme intention de lui trancher les jambes, malgré une épaule et des côtes qui avaient été fragilisées durant le combat.

 L’odeur que laissait son acide en brûlant la chair était décidément délicieuse pour Kazuki. Là ou d’autre serait répugné et probablement sur le bord du vomissement, celui-ci se sentait beaucoup plus en euphorie quand son sang vicié faisait fondre les muscles et les os, et quand il s’agissait alors d’un Démon, celui-ci en était décuplé.

Il était un véritable monstre d’agilité. La vitesse, les réactions, la fluidité de ses mouvements n’en étaient pas à douter. Lorsque sa faucille trancha la jambe, Kazuki en sentit les effluves, terriblement délicieuse, bien que pour les autres démons, il en ait probablement été repoussant, répugnant. Que Kazuki dévore des Démons était contre-nature. Posant sa main au sol alors qu’il effectuait une rotation de son corps pour reposer ses jambes sur le sol, Kazuki tendit ses muscles, posant son pied sur le sol pour éviter le plaquage de la Numéro 2 et glissant sur la gauche en rotation pour ensuite attaquer la Numéro 1.

L’ombrelle était à peine entamée par la lame de sa faucille. Il réfléchit. Peut-être le tissu était-il fait du même matériel que le Haori des Pourfendeurs ? Il n’avait pas le temps de continuer sur cette réflexion spontanée que la Numéro 2 avait bondit de suite sur Kazuki pour l’attraper par le dos, enveloppant ses bras autour de son cou. Le geste avait été rapide et étonnant, mais Kazuki n’en démordit pas. Elle avait enserré ses jambes autour de lui. Attrapant les bras de la Numéro 2, Kazuki… broya les poignets avec une application féroce de sa force, soudaine, qui se brisèrent dans un bruit sinistre, avant de se libérer en l’attrapant ensuite par les jambes. Cette fois-ci, elles furent brisées par les genoux. Alors qu’elle allait tomber, il l’attrapa par l’une des jambes, il la balança dans les airs en direction de la Numéro 1.

Il courut vers la porteuse de l’ombrelle, très vite, et en plein air, bondit pour attraper la Numéro 2 par les jambes… et en usa comme d’un marteau sur l’arme de la Numéro 1. Son corps se brisa sur l’arme, qui vacilla sous la force du Démon Pâle… et il profita de l’ouverture offerte pour enfoncer sa faucille dans le ventre de la Numéro 1, tandis que le corps de la Numéro 2 disparaissait. La faucille s’enfonça plus profondément encore dans les entrailles du clone et Kazuki tournoya tout en avançant, tenant solidement son arme avant de le retirer dans un mouvement sec et dégoûtant, répandant ses entrailles sur le sol, pour projeter la Numéro 1 derrière lui.

Dans ce même mouvement, Kazuki fonça vers la vraie Miyuki, ne perdant pas l’énergie de son mouvement pour maximiser sa force de frappe… et ressentit le coup de pied improvisé de la Démone. Malgré sa faiblesse divisée après l’invocation de ses clones, Miyuki restait forte. Peut-être que la perte de la Numéro 2 avait renforcé sa force. Dans tous les cas, le Démon avait fini de guérir sa blessure au poignet, mais ses côtes furent fracassées sous la force de Miyuki. Son poumon en fut touché, perturbant sa respiration. Sa faucille, qui aurait normalement fini sa course dans sa mâchoire inférieure et qui aurait traverser sa tête, glissa hors de sa main pour finir au sol, derrière Miyuki, à une dizaine de pas.

Il aurait pu s’effondrer. Mais Kazuki n’avait pas totalement perdu de son énergie. La seconde suivant le fracas du côté de sa cage thoracique auparavant affaiblie, il l’appliqua à effectuer du dégât qui servirait aussi à le guérir.

La bouche ouverte, alors que tout le poids de son corps était jeté sur Miyuki, il chercha à lui mordre la gorge pour accélérer sa propre guérison tout en lui privant de l’air.

 Sa mâchoire rencontra la chair tendre mais croquante de son avant-bras. Sa mâchoire lui permit d’arracher une bonne partie de cette partie du corps, notamment deux doigts et une bonne partie des vaisseaux sanguins et des tendons. Malheureusement, l’artère n’avait pas été touché. Dommage. Malgré le goût boueux et franchement dégoûtant du sang d’un Démon, Kazuki en raffolait. Cette tendance cannibale avait longtemps été ancrée en lui. Depuis le tout début, probablement. Il dévorait les Démons pour infliger une terreur sourde et indélébile, à l’époque du Chitsujo. Évidemment, personne n’allait vérifier les dires d’un adversaire tombés au combat, terrassé par la terreur ou bien visiblement traumatisé.

La guerre dans l’ombre, Kazuki y était un maître. La guerre ouverte, Kazuki s’y connaissait très bien. Les duels à morts, ou son cœur battait la chamade, l’équivalent de l’adrénaline chez les Démons le faisant sentir vivant. Kazuki, dans son élan, s’était donné une impulsion pour traîner Miyuki dans son sillage, en emportant plusieurs troncs d’arbre qui craquèrent, cédèrent, des buissons furent brisés et un sillon de terre avait été créée sous leur force qui luttait. Mais Miyuki s’était libéré en faisant usage de son démon, non sans avoir martelé au passage la poitrine de Kazuki de coup-de-poing. Le coup de pied de la Numéro 1 fut assez fort pour l’envoyer dans le décor, contre un rocher, son corps formant un angle sinistre.

Sa gorge gonfla sous la déglutition, la chair de Miyuki emportant. Kazuki se concentrait, alors que Miyuki tentait d’amorcer une discussion. Il restait silencieux. Il se concentra. Alors enfin, Kazuki sentit ses chairs intérieures se réparer. Ses côtes reprirent leur solidité, son poumon fut guéri et raffermit comme avant, se remettant debout… au moment où Miyuki lançait l’assaut. Son odeur était devenue plus forte. Son clone avait donc disparu. Elle avait repris des forces.

S’il put éviter le coup de balayage de pied raté de la démone, il mit ses bras en X devant lui pour se prendre de plein fouet le coup de l’ombrelle de Miyuki. Ses bras se cassèrent et Kazuki s’envola sur une bonne dizaine de mètre pour finir la course contre un arbre de taille conséquent, son corps en partie enfoncé dans le tronc de l’arbre. Sous les yeux de Miyuki, cependant, sa guérison fut plus que certainement visible. Ses bras et ses jambes, dont les os sortaient hors de sa peau dans des angles dégoûtants, se remirent en place dans un claquement sec comme un fouet, sa peau se guérissant.

Se concentrer pour guérir était devenu une habitude pour Kazuki. Il sortit calmement de son nid improvisé et fit rouler ses épaules. Il n’avait pas sa faucille avec lui. Il avait été laisser derrière dans son élan pour emporter Miyuki.

Qu’importe.

- Kazuki.

Sa ‘vision’ lui donnait un relief des environs très précis. Comme le sonar d’une chauve-souris, comme le serait découvert dans le futur. Il s’était éloigné de la zone d’origine dans laquelle il voulait piéger Miyuki, mais celle-ci pourrait faire l’affaire, en sentant le vent tourner. En s’abaissant soudainement, Kazuki bondit vers la canopée des arbres… et sa queue caudale se déroula hors de ses vêtements dans l’air.

Pluie rongeant.

Sa queue expulsa de l’acide en fine gouttelettes. Il ne comptait pas sur celui-ci pour faire du mal à Miyuki. Vu sa puissance, elle est au mieux une gêne si cela atteint ses yeux. Non. Kazuki, dans son intelligence, se sentait fier de ce mouvement. L’acide créa une réaction chimique contre les arbres, terriblement secs, et plusieurs incendies commencèrent depuis les feuillages et les troncs d’arbres… alors que les gouttelettes étaient aussi transportées un peu partout dues au vent, propageant donc un début d’incendie de forêt qui se révélerait massif et terriblement gênant pour le Kishinkai dans la région.

Kazuki, en tombant, remit en place ses idées. Miyuki était plus puissante que lui pour un assaut frontal. Cependant, si la fumée pouvait brouiller sa vue, aidée de son acide qui irait la gêner, et que les flammes se révélerait alors traîtresse pour la cheftaine de la famille, alors Kazuki pourrait avoir une chance. La tuer n’était pas dans ses plans. Elle avait la force nécessaire pour briser ses membres et son ombrelle pourrait alors se révéler être une gêne parmi les flammes, qui se propageaient en contrebas.

Kazuki saisit une branche d’arbre dans sa chute, l’utilisa pour transporter l’énergie de sa chute vers l’avant, puis se réceptionna en un roulé-boulé. Ses deux régénérations à la suite avaient consumé pas mal d’énergie qu’il avait récupéré en mangeant une bonne partie du bras de Miyuki.

Les jeux étaient fait, la chasse pouvait commencer.