HISTOIRE -
"Ce sont des jumeaux, messire !"

Elle pleurait à chaudes larmes à côté de son frère, sous les yeux aimants de la famille Zenrei. Kiri et Kito, c'est ainsi qu'on les nomma tous les deux. Elle était plus petite et plus frêle, bougeait moins. Il était plus éveillé déjà, plus fort. Et surtout, il était né garçon.

Chez les Zenrei, nous sommes des pourfendeurs. Tradition familiale qui remonte au temps où le chef de clan a vu sa vie sauvée par un grand pourfendeur à une époque lointaine, ce dernier promettant que ses descendants combattraient jusqu'à la disparition complète de la famille. Depuis, au moins un enfant de chaque branche fut offert à l'école du soleil pour combattre les démons.
Kiri et Kito ne furent pas épargnés, mais c'était un honneur que d'être pourfendeurs et de défendre l'humanité. Ils baignèrent dans les armes, les valeurs honorables de samouraï, les valeurs familiales fortes et solides... Très tôt, ils jouaient déjà avec des bokken, avant de les manier plus sérieusement lors d'entrainements. Kiri se montrait plus abrupte et brouillonne que son jumeau. Plus franche, plus directe.
Kito préférait des approches furtives et des contre-attaques, tandis que sa sœur exprimait une force dans ses mouvements qui faisait vibrer la lame des katanas. Ces armes requerraient un maniement plus précis et mesuré que ce qu'elle proposait.

Kito avait toujours été devant. Né le premier, né garçon, privilégié à sa jumelle. Plus doué avec les sabres, plus rapide. Plus précis, plus préféré lors des entrainements. Car après tout, il était un homme. Kiri elle, elle était toujours trop. Car après tout, elle était une femme.

Et pourtant, ils ne se lâchaient pas. Leur relation était fusionnelle. Elle grandit dans son ombre, mais grandit tout de même. Tous deux enflammèrent leur cœur à la lueur du souffle du feu. Des passes d'arme dans la cour aux jeux dans le jardin familiale, aux conversations sous le plafond d'étoiles. Kito parlait mieux, parlait plus. Kiri l'écoutait sans jamais se lasser. Plus réservée, plus bridée. Elle l'aimait si fort, qu'elle s'en sacrifiait.

Enfin, on les confia tous deux à l'école du soleil. Kito bien plus entouré comme d'habitude. Kiri dans son sillage, par habitude.
A 13ans, on les pressentait prêts à passer l'épreuve d'admission. Ils y allèrent tous deux, ensemble. La nuit fut longue, mais tous les deux, ils se sentaient comme s'ils pouvaient déplacer des montagnes. Lorsque l'un était en difficulté, l'autre veillait sur ses arrières. Kito comme Kiri, donnait leur cœur à l'ouvrage. Ils désiraient sauver le plus possible de monde, chaque vie se valait et ne valait pas plus que la leur. Sur ses principes, ils étaient entièrement en accord.

Dans la nuit, les flammes paraient les attaques plus qu'elles n'agressaient. Kiri se mit à découvert pour une personne totalement étrangère, et lui sauva la mise. Dans un premier mouvement, ascendant, elle se laissa emporter par la fatigue, emportée par son propre élan et la force qu'elle avait mise dans le coup. Kiri, déséquilibrée, était à la merci de l'ennemi. Son frère profita du fait qu'elle était un parfait appât désemparé pour asséner, d'une technique propre et sans faille, le coup de grâce sur le démon.
Kito finissait toujours devant.

Les voilà devenus tous deux Mizunoto, et la fierté de leur famille.
Les premières missions en solo furent les plus difficiles. Ils n'avaient jamais été séparés auparavant, mais ils se pliaient aux ordres de l'école du soleil. Kito, poussé par les encouragements plus que ne l'était Kiri, pris de l'avance sur elle.
Lors de leurs retrouvailles, nombreuses, il lui racontait avec passion toutes ces missions. Ils ne manquaient pas de s'entrainer à chaque fois. Kiri se rendait compte de l'écart qui se creusait entre eux. Kito lui faisait bien plus que de l'ombre à présent. Il la distançait. La jeune pourfendeuse ne parvenait pas à améliorer sa maîtrise du katana, et il lui était de plus en plus inconfortable de se battre avec. Nombreuses furent les fois où elle se mit elle-même en difficulté à force d'élan trop puissant. Kiri se battait à la force brute, et ses mouvements étaient plus brouillons que ceux de son frère.
Elle prit du retard sur lui, alors qu'il gravissait les échelons. Kanoto au bout de 6 mois pourtant, ce n'était toujours pas assez : il fallait le rattraper, par peur de ne plus pouvoir le voir et se battre à ses côtés.

D'une mission à une autre, elle rencontra myriade de pourfendeurs et finit par tomber sur quelques uns ayant abandonné le katana pour lui préférer d'autres armes. Et pourquoi pas elle ? Kiri, au bout d'un an de bataille avec sa propre arme, finit par l'abandonner à son tour. Elle jeta son dévouement sur une lourde épée à deux mains.
Elle ne regretta jamais son choix. Le poids de l'arme compensait aisément ses élans de force, et lui permettait un meilleur équilibre dans ses mouvements.
Elle vit enfin ses efforts à l'entrainement porter leurs fruits. Kito était déjà Tsuchinoto quand elle passa Kanoé, après deux ans à être pourfendeuse.

Sa première mission en tant que tel fut couverte de succès mais lui laissa un goût bien amer dans la bouche. Sauver un fils oui, mais pas une famille entière, ce n'était pas assez. Toujours pas assez. Il lui fallait plus, il lui fallait le rattraper. Kito semblait survoler les épreuves, avec son air détaché et son sourire taquin, il faisait la fierté des Zenrei. Kiri redoubla d'efforts. Elle souhaitait plus que tout se battre de nouveau à ses côtés.

Son changement d'arme fut une clé non négligeable de son développement en tant que pourfendeuse. Elle parvenait enfin à lever le mystère sur certains mouvements du souffle du feu, qui jusque là lui paraissaient si difficiles ou risqués. La maîtrise vint en quelques temps, car finalement, ce n'était pas la pourfendeuse le problème mais l'équipement. Pour une fois, elle fut égale à Kito, pensait-elle. Pourtant, elle était toujours derrière, dans son ombre.

Trois ans de plus s'écoulèrent, Kito était Kinoé, et elle toujours dans son sillage Kinoto. Les deux espoirs des Zenrei, les deux flammes jumelles, tous deux pupilles du pilier du feu de l'époque. Elle combattait enfin à ses côtés, parfois.
Deux ans de plus passèrent ainsi. Elle fut promue Kinoé après une mission où elle perdit l'usage de son œil mais sauva les deux jeunes pourfendeurs qui l'accompagnaient. Ce démon ne vit plus aujourd'hui, mais Kiri se fait toujours un plaisir de conter cette histoire.
Pendant ce temps, Kito témoignait de la mort de son mentor. Il prit sa place.

Ils ne se lâchaient plus. Kiri toujours dans son ombre, mais heureuse de pouvoir soutenir son jumeau tous les jours de sa vie. Elle le suivait partout où il allait. Du moins, aurait-elle voulu le faire, mais c'était un non sens de garder deux pourfendeurs talentueux l'un avec l'autre. Où avait-elle la tête en pensant le rattraper et enfin choisir de rester avec lui ? Ici elle ne choisissait pas, c'était la guerre. Elle allait là où on lui disait d'aller. Ils communiquaient toujours beaucoup, s'envoyaient des lettres bien plus régulièrement que jamais. Il lui parlait de ses missions, de ses rencontres, d'une jeune pourfendeuse à qui il s'était attaché et qu'il comptait prendre comme apprentie. Elle lui racontait ses missions, à quel point il lui manquait, qu'elle avait hâte de le retrouver. Trois ans passèrent de nouveau.

Oh ça oui, elle le retrouva.
Elle arriva bien trop tard.

Envoyée en soutien d'urgence, elle ne parvint pas à temps pour combattre avec lui. Elle ne put que l'accompagner dans ses derniers instants et témoigner de ses derniers mots. Kiri ne se souvient pas bien du combat qui s'ensuivit. Elle sait juste qu'elle en garde une trace indélébile dans son âme, mais que son cœur s'est enfin ouvert complètement au souffle du feu.
Ce jour-là, elle se donna entièrement.

Ce fut la malheureuse impulsion qu'il lui manquait pour maîtriser son art à la perfection. Kiri se dévoila finalement tout aussi talentueuse que l'avait été son jumeau. Elle avait simplement été sous-estimée tout le long. Kiri prit sa place en tant que pilier. Un an de plus, durant lequel elle s'épanouit.
Elle marche à présent dans ses pas, embrasse sa vie comme il le faisait, vit pour elle-même et donne sans compter aux autres. Pour le rendre fier, mais surtout pour ne rien regretter.