HISTOIRE -
On ne sait pas vraiment d'où vient la petite Mumei.
Elle n'a jamais raconté.

Je vais vous raconter.

Mumei est née dans la montagne, une nuit en plein hiver.
Sa mère fuyait des pillards. Exténuée, elle a mis au monde une petite sœur ou un petit frère jamais connu, sous les yeux d'une très jeune Mumei qui savait à peine marcher. Cette mère est morte, dévorée par le froid comme son nouveau-né, puis par les loups. Ces loups prirent Mumei avec eux. Elle ne sentait pas assez la mort pour la manger elle aussi, et la matriarche avait perdu des louveteaux. Elle avait assez de lait pour Mumei, morte de peur.
Elle ne mourut pas de froid cette nuit.
Mais cette nuit, elle mourut tout de même.

Elle ne se souvient pas de son vrai nom. Celui qu'on lui a donné à la naissance.
Elle ne se souvient pas de grand chose de sa vie d'avant les loups. Avant la forêt, il y avait bien quelque chose mais quoi ? Est-ce vraiment utile de s'en souvenir ? Mumei a décidé que non.

La forêt par contre... La forêt est pleine de souvenirs. De longs hivers à se tenir au chaud dans la tanière. Des printemps doux à jouer sur les pentes de la montagne. Des étés à pister le petit gibier. Des automnes à sillonner la forêt pour changer d'endroit.
De loin, on observait les humains. On ne s'en approchait pas. Les humains chasse les loups et les loups n'aiment pas ça. Mumei n'aimait pas ça non plus.
Mumei laisse toujours les loups tranquilles aujourd'hui.

Les années passèrent et se rappela à elle cruellement que la fourrure ne poussait pas sur elle, pas plus que les griffes ou les crocs. Qu'elle était en bas de la hiérarchie, avec les vieux et les louveteaux. Elle voyait grandir frères et sœurs, mais elle ne grandissait pas, pas plus qu'elle ne participait aux grandes chasses. Elle regardait ses mains sans griffes et sans poils, ses longs doigts et cette palme sans coussinet. Elle voyait son nez tout plat au milieu de son visage. Elle sentait que sa vision n'était pas celle des loups.
Mumei comprenait qu'elle était différente.

Elle passait un peu plus de temps à traquer les humains et à les observer. Elle passait des jours loin de sa meute, à suivre discrètement dans l'ombre des arbres, ces êtres qui ne savaient pas être silencieux et qui pourtant lui ressemblaient. Elle ne se sentait pas comme eux, ils la dégoutaient. Et pourtant, elle avait les mains, la peau sans fourrure, les griffes qui ne poussaient pas, les crocs inexistants. La mâchoire faiblarde, les vocalises timides et nasillardes.
Mumei se sentait différente.

Elle devait avoir entre sept et huit printemps, lorsque sa meute fut éradiquée.
Une grande chasse aux loups. Des semaines de terreur, de fuite. On enfuma les tanières pour détrousser les nourrices et les petits. On poussa le reste de la meute aux bords d'un ravin. C'était choisir sa mort, mais mourir tout de même. Mumei a de vagues souvenirs du jour où elle les perdit pour de bon. Elle ne les revit jamais après cela. Elle est tombée.

Un bras de torrent la recueillit dans sa malchance. La toute petite Mumei fut bercée longtemps dans l'eau. L'instinct de survie fut plus fort que la noyade. Elle fut jetée sur une rive, aux pieds d'arbres qu'elle ne connaissait pas. Ce n'était pas sa forêt, ni la montagne qu'elle avait connue. Mumei se laissa mourir sur la rive. La meute était partie, tout était partie. Un loup solitaire meurt vite.

Une main forte la repêcha alors que l'eau léchait son corps faiblard. Une main d'homme abîmée par le travail, à la fois ferme et précise. Elle sentit pour la première fois la suie et la sueur.
L'odeur du fer battu lui collait au nez alors que la peur gonflait ses yeux sans larmes.

Au village des forgerons, on l'apprivoisa comme on put.
Mumei était atrocement sauvage et horriblement difficile à manipuler et à comprendre. Tendresse, fermeté, cadre de tranquillité, arrivèrent au fil des années à calmer ses peurs.
On n'interdit jamais à Mumei de gambader et de vaquer à ses occupations. Elle revenait toujours auprès du feu et de la main qui la nourrissait. Depuis le premier jour, on comprit que la force ne ferait pas plier son caractère, morsure à l'appui. Elle était comme un sabre, au final. Frappée dans l'amour, elle se laissa finalement fondre.

Elle s'impliqua davantage dans la vie du village, à mesure que les années passaient, jusqu'à sentir battre son cœur au rythme du fer sur la forge.
Jusqu'à sentir l'odeur de la suie et de la sueur comme une partie d'elle-même.

De ses années dans la forêt, elle garde avec elle quelques connaissances en plantes médicinales, un instinct de chasse affuté, et une envie permanente de grands airs. Mumei n'a pas peur de se battre mais elle est assez sage pour évaluer le danger. La forêt lui a appris qu'il ne fallait rien sous-estimer, mais estimer au plus juste c'était survivre.
Elle pourrait parcourir les toits du village les yeux fermés, pieds nus et fourrure sur le dos.
On lui fait assez confiance maintenant pour lui confier des sabres nouveaux à apporter à leur futur propriétaire pourfendeur, ou pour aller dénicher des matériaux précis. Elle aime ces escapades.
Elle aime encore plus revenir là où elle sent la suie et la sueur.

Mumei n'a pas de nom, mais au fond d'elle, elle espère avoir un foyer.

Rencontre marquante de sa courte existence : Kohaku, un démon du Chitsujo pour lequel elle voue une affection toute particulière à la limite de la vénération.