CARACTÈRE - La pluie tombait drue.

Au sol, les gouttes de sang étaient diluées par la boue, l’eau de pluie et d’autres immondices rougeâtre.

Kotarou, Pourfendeur du souffle de l’Eau, avait une profonde blessure sur son corps. Il respirait avec une difficulté montante. Mais il tenait fermement la position. Dans la pluie torrentielle, malgré tout, ses oreilles étaient pleinement concentrées sur le Démon devant lui.

Dans la nuit sombre, seul un éclair qui apparaissait par moment lui donnait un tant soi peu de lumière. Mais malgré cette pénombre presque terrifiante, la pâleur du visage de la chose devant lui était terriblement malaisant.

Tsuguko d’un Pilier, Kotarou en avait tuer, des démons. Mais celui-ci, il n’en avait jamais vu. Seulement entendu parler, lors d’une soirée, pendant que des histoires étaient échangées.

Kazuki.

Aucune histoire ne semblait lui rendre… honneur.

De son visage, il n’en voyait que cette bouche aux contours rougeâtres, aux lèvres manquantes. De cette bouche, un sourire était formé, s’étirant de manière sinistre jusqu’aux oreilles, dévoilant ses dents d’une apparence malaisante, les gencives… Il n’en avait pas assez pour recouvrir les dents. Tout en Kazuki, aux yeux de Kotarou, respirait le malaise. Et c’était ce qui l’inquiétait. Son visage était ceint d’une étrange ceinture de métal aux piques ressortissant, cachant ses yeux et une bonne partie de son visage. Ses quatre camarades avaient pensé qu’il était aveugle et inoffensif.

- Tu devrais te panser.

Sa voix, en dépit de la distance qui les séparait et de la pluie torrentielle, atteignit clairement Kotarou, surtout sur le plan psychologique. Kazuki n’avait pas prononcé de mot durant tout l’échange qui s’était suivi.

Grand et maigre, frôlant le 2m10, on l’aurait pensé fragile, facile à battre. Cette pensée avait coûté la vie de ses camarades. Dotée d’une faux récupérée d’on ne sait où Kazuki avait étendu son corps dans des mouvements aussi fluides qu’atroce à regarder, tordant son corps en des angles sinistre et inquiétant avant de frapper chacun d’entre eux du plat du tranchant de sa lame en de fines coupures aux épaules, aux genoux et aux bras. Sa voix, maintenant entendue, lui faisait penser à un crapaud fait de roc d’une respiration sifflante. Sa tenue, entièrement sombre, lui donnait l’impression qu’il s’était fait autrefois prisonnier, quelque part.

Kotarou inspira.

- Souffle de l’eau, deuxième mouv…

- Si tu bouges, ta plaie va s’empirer.

Kazuki était détourné de Kotarou. Il était de profil, la tête un peu penchée vers l’arrière, comme observant le ciel. Son sourire ne quittait pas son visage. La pluie tombait sur son corps. Les gouttes roulaient sur ses vêtements, son visage, ses lèvres. Comme si l’odeur des corps liquéfiés de ses camarades l’amusait.

De son corps, sous ses vêtements, était sortie une queue caudale aussi tranchante que solide, lui rappelant celle d’une sinistre lance. En plein combat, dans un geste presque ennuyé, sa queue caudale avait empaler l’un de ses amis. Sous le choc et la surprise, les autres ont été incapables de voir l’attaque qui s’ensuivit… et furent aspergés d’acide directement depuis cet appendice démoniaque d’une taille phénoménale. L’acide, d’une odeur atroce à en faire pleurer, avait réduit en masse liquéfiée ses camarades d’enfance, survivants d’une attaque de Démon qui les avaient mené à devenir Pourfendeur quand leur ancien maître était passé par là.

L’appendice démoniaque avait disparu sous ces vêtements, comme si elle n’avait jamais existé. Kotarou ne se rendit pas compte qu’il tomba à genoux, alors que son hémorragie s’était empirée. Son corps était devenu faible. Beaucoup trop faible. Chaque fois qu’il avait tenté d’attaquer Kazuki, celui-ci s’était d’abord contenter d’esquiver, de parer avec sa faux, et de bloquer à chaque fois que l’occasion se présentait. En dépit de l’agressivité monstrueuse que Kotarou avait déployer, Kazuki ne l’avait que blesser qu’au moment où il pensait avoir eu une ouverture, en enfonçant profondément sa faux dans son flanc avant de l’ouvrir en une plaie béante.

Levant les yeux de sa blessure, il s’aperçut que Kazuki se trouvait maintenant devant lui. Un éclair illumina les yeux et la scène. Il était terriblement grand, vu d’ici. D’un geste brusque, il tenta de lui trancher la tête, en vain, mais Kazuki attrapa la lame de sa main sans problème. Trop faible pour frapper bien. Du sang, beaucoup de sang, s’écoula de sa lame. Ce sang rongea son sabre, pour l’en réduire en une masse informe. La solidité d'un sabre de nichirin n'en était pas à sous-estimer, mais une telle quantité faisait en sorte de fondre le sabre.

- Tout ça pour une goutte de sang.

Kazuki pencha la tête de côté avant de jeter le sabre dans la masse liquéfiée de ses amis d’un geste ennuyé et partit.


Kotarou fut retrouvé le lendemain et relata alors son histoire aux médecins.


***

- Atroce. C’était le mot que je donnerais pour avoir travaillé avec Kazuki.

Shîro, puissant Démon au sein du Chitsujo, souffla sur une pipe. Assis sur le toit d’une demeure de noble, il observait un village d’un air pensif.

- En dépit de tout ça, Kazuki est l’une des raisons pourquoi le Chitsujo est ce qu’il est aujourd’hui, surtout en ce qui concerne la majorité des règles. Quand je l’avais vu pour la première fois, il y a de cela 2000 ans, je me suis dit qu’il n’aurait jamais réussi à tenir plus d’un an parmi nous, et c’était généreux de ma part, parce qu’il était tout sauf quelqu’un qui prônait nos valeurs encore aujourd’hui. Il était aussi sauvage et féroce que la plupart des nouveau-nés démoniaque, presque impossible de raisonner. Pourtant… Il s’était taillée une place de choix parmi nous en tant que fantassin d'un de nos Gardiens. Les Pourfendeurs tombaient aussi vite que Kazuki ne montait en grade.

Shîro fermait des yeux. Sa chevelure sombre contrastait avec la pâleur osseuse de ses bras, signe de son Pouvoir Sanguinaire.

- On ne s’était pas demandé pourquoi au début autant des nôtres tombaient. Les Pourfendeurs étaient, en dépit de leurs nombres, très puissants pour leur époque. On mourrait très souvent. Mais Kazuki finissait toujours par revenir, toujours. Son Pouvoir Sanguinaire s’était manifesté très tôt et je n’ai rarement vu de pouvoir de ce genre. Au combat, c’était un cauchemar pour tout le monde. Quand on le blessait, son sang qui giclait pouvait blesser l’agresseur et donc, son comportement frôlait souvent le suicidaire quand il se battait avec plusieurs Pourfendeurs, ou des Démons d’un clan rival. Sa brutalité se manifestait de par son maniement de la faucille qui faisait de lui quelqu’un de profondément… cruel, pour ainsi dire. Pas le genre de cruauté que l’on voit de nos jours, non.

Shîro tournait son regard vers le jeune Démon qui avait été récemment intronisé dans le clan.

- Sa cruauté, c’était d’utiliser les corps des camarades des Pourfendeurs comme bouclier, empaler sur sa faucille. Parfois, il empalait aussi des bébés de villageois capturés. Le pire était qu’ils vivaient encore. Les Pourfendeurs aussi. Quand les combats étaient terminés, il se nourrissait en premier lieu de ses ennemis. Mais on en laissait toujours un, en vie, pour que la terreur du Chitsujo se propage. Celui-là, Kazuki se plaisait d’y laisser sa marque personnelle. Une marque sur le front. Quand il utilisait son propre sang comme de l’encre.

Shîro clignait lentement des yeux, et tira une autre bouffée de sa pipe.

- Je suis d’une vieille famille de Samurai et je peux largement te dire que Kazuki était tout, sauf instruit. Un vocabulaire limité, d’une grossièreté immonde, il était ce que notre organisation détestait le plus. Mais sa manière de pensée était assez singulière pour qu’on ne se doute pas de ce qu’il faisait. En cela, je pouvais l’apprécier. Sais-tu comment il avait pu se débarrasser de nos ennemis ? En menant une guerre dans l’ombre. En faisant en sorte que les clans mineurs se battent entre eux avant que l’on intervenait pour mettre fin aux conflits et recruter ceux qui étaient recrutés, et tuer ceux qui mettaient nos plans en danger. Bien des règles que l’on possède aujourd’hui viennent de lui. L'Ancestral y avait veillé

Le Gardien du Chitsujo retourna son regard vers le village.

- Quand on avait découvert le pot aux roses, on s’était chargé nous-même de le traquer, lui et son… frère de sang. Une fois prisonnier, il avait changé. Pendant cinquante ans, nous l’avions gardé pour nous. On aurait dû le tuer… mais pas mal d’entre nous avions un grief contre lui. Alors on lui faisait du mal. On le laissait souvent sans manger, dans le noir. Nous lui avions vissé quelque chose sur le visage, mais le Démon qui en était le créateur est mort quand il s’est échappé.

- En quoi avait-il changé ? Demanda le jeune Démon.

- Je crois que la mort de son frère l’avait profondément affecté. C’était un Démon qui avait encore les souvenirs de sa vie passé intact. Je ne sais pas ce qu’il avait pu vivre et je m’en fiche royalement, mais dans tous les cas, il était devenu... silencieux. Quand il parlait, c’était pour nous questionner, et cela nous rendait en colère. Ça ou nous moquer. Probablement les deux. Mais quoi qu’il en soit, le jour de son évasion, il avait tué le créateur de son masque et s’était enfui. Sans que personne ne le remarque jusqu’au jour suivant. Depuis… plus rien.

Shîro se tenait silencieux un instant.

- Je crois qu’il est toujours là, quelque part. J’entends toujours des rumeurs, de corps dissous et presque dévorés par moment. Mais sa cruauté… Rien. Je ne sais pas s’il a changé en raison de la mort de son frère ou si c’est pour autre chose. Je sais simplement ceci : ou qu’il soit, il y a quelque chose dans sa tête qui se fomente. Quelque chose qui n’augure rien de bon pour nous tous. Quelque chose d’affreux. Comme s’il cherchait à se venger. Ce n’était pas quelqu’un de discret, auparavant. Pas autant qu’aujourd’hui. Il était l'un des premiers à rencontrer l'Ancestral, l'un des premiers à être monter en grade aussi vite pour devenir un Gardien mais il est aussi devenu l'exemple à ne pas suivre.