HISTOIRE - Rensei se souvient.
Il y a 1721 ans, elle s'appelait Mana.

L'enfante bénie, qui devait ramener le japon à la raison. L'enfante aux dons de lumière, aux dons divins. L'enfante de la prophétie. Mana était sublime, belle, divine. Mana était touchée par la grâce du dieu unique, fille du seul Grand Salvateur. Nobu, tel était le prénom de son père, avait été envoyé sur terre pour ramener à la raison ce territoire de damnés. Mana fille de l'élu était promise à de grandes choses. Elle était prophétesse, elle voyait l'avenir des Hommes. On disait que tout ce qu'elle touchait se transformer en or ou en poussière : aussi portait-elle des vêtements recouvrant l'intégralité de son corps. On disait que le soleil éclaterait si elle venait à le regarder à cause de ses yeux rouges : aussi ne sortait-elle jamais de jour. On disait que la lune tomberait sur terre pour l'embrasser et la dérober, à cause de sa beauté pâle et blanche : aussi ne sortait-elle jamais de nuit.
Mana devait rester pure : aussi ne mangeait-elle que du riz très poli, cuit dans de l'eau bénite, et du poisson pêché dans une seule et unique rivière. Mana ne devait pas être curieuse, car elle savait tout, elle ne devait pas être gourmande, car elle n'avait jamais faim, elle ne devait pas vivre, car sa simple existence était son but ultime. Mana était bénie, mais Mana était aussi une enfante privée de tout.

Pourtant, elle ne vit rien de cela, et grandit persuadée qu'elle était une créature céleste instruite d'une mission divine de ramener les Hommes à la vérité que son paternel était le seul vrai dieu. Aussi ne pipa t-elle mot, quant enfin femme, il l'a prise. Seul un dieu pouvait la toucher, après tout.
Pendant 9 mois, elle fut traitée plus encore comme un trésor que jamais auparavant. 9 longs mois de douleur, mais il le fallait bien pour développer un être divin. Mana mit au monde un monstre, consanguinité frappant. Nobu l'a battu pour cela, mais elle le méritait, elle avait failli à sa mission. Dès qu'elle eut son retour de couche, il l'a prise de nouveau.
L'enfant naquit, mais était un légume. Peu importe, il était là, blanc comme neige comme sa mère. Mana s'en épris dès l'instant où elle posa ses yeux rouges sur lui. Un fils, l'héritier du Grand Salvateur. Il le brandissait comme un étendard, sous le soleil d'été du japon et le regard accompli de Mana.

L'enfant mourut au bout d'un an, la peau abîmée. Il n'avait jamais émis de son, jamais gazouillé. Peu importait.
Nobu l'a prise de nouveau.

Mana crut mourir quatre fois durant cette grossesse. Elle perdit l'enfant au bout de cinq mois. Elle fut battue, encore. Nobu lui disait qu'elle était sale et impure, et que c'était pour cela qu'elle ne pouvait garder d'enfant. Qu'elle rendait sa semence démoniaque.
Il l'a mise au pilori, tête en bas, nue, sous un soleil de plomb, à la merci des croyants qui ne croyaient plus en elle. Folle de rage, elle les maudit un à un, hurlant à qui voulait l'entendre et à ceux qui ne voulaient pas l'entendre, qu'ils mourraient tous, qu'elle dévorerait leurs tripes impies et qu'elle les laisseraient cuire au soleil pendant deux lunes, qu'elle les hanterait dans leur mort et qu'ils n'auraient aucun repos. Mana hurla si fort qu'elle s'en craqua les cordes vocales. Le soleil eut raison du reste de son corps. Elle pria, elle pria, jour et nuit.

Il entendit ses prières. Fuhen, l'Eternel, l'entendit.
Il vint une nuit la libérer d'abord. Il exauça ensuite ses prières. Chacune de ses prières. Il écouta sa rage, il écouta ses plaintes. Il la libéra de sa carapace de chair humaine et la transcenda. Mana dévora tout le village. Comme promis, et comme elle les avait tous maudits, elle les laissa cuire au soleil deux lunes, avant de dévorer leurs tripes, un à un. Elle les hante encore dans leur mort.

Fuhen la renomma Rensei, pour faire écho à son double maléfique qui s'éveillait lorsqu'elle se laissait gagner par la rage. Rensei, l'étoile double, deux astres stellaires gravitant autour d'un même être : Fuhen. Elle ne le quitta plus de toute son éternelle existence.
Il rejoignit le continent, et elle le suivit comme son ombre, persuadée qu'il était l'Unique Dieu qu'elle avait toujours prié et pour lequel elle existait.

Fuhen l'accompagna dans sa maîtrise de son pouvoir sanguinaire et la façonna à sa manière. Elle lui était complètement dévouée et partout où ils allaient, propageaient derrière eux des prophéties quant à son Eternel amour divin. Les hommes, les femmes, les enfants, les humains... tous étaient touchés par sa délicate apparence, par ses mots doucereux et mielleux, par sa foi inaltérable. Rensei ne parvenait pas à contrôler son pouvoir et les fois où elle en usait finissaient en catastrophes.

En Europe, on la traita de menteuse. Elle s'efforçait de leur montrer, de leur prouver, que Fuhen était le seul vrai dieu, que celui qu'ils priaient tous, c'était lui. On l'aspergea d'huile et on la brûla.
Rensei la Rouge rasa la ville entière, folle de rage. Il n'y eut que Fuhen pour la calmer et faire revenir à lui la douce bleue. Contrôler son pouvoir sanguinaire devenait une priorité. Elle s'y attela plus avant et tout en affinant sa maîtrise, développait aussi sa verbe et sa présence.
Rensei devint plus divine encore que ce qu'elle n'avait été. Plus rien ne se mettrait en travers de la route de Fuhen.

Du moins jusqu'à ce qu'ils ne croisent, après d'innombrables rencontres en Europe, un humain capable de leur tenir tête. Rensei faillit perdre la vie pour sauver celle de son Eternel. Ils fuirent au japon, regagnant des contrées connues, après de longs siècles à parcourir le monde.

Elle fondit avec lui le temple et propage jour après jour la parole divine de Fuhen, jouant de ses mots et de son apparence aérienne pour faire succomber les Hommes à ses paroles, pour gagner leur cœur et les emmener dans la foi profonde que l'Eternel est leur salut.