Il n'y a pas à dire, j'ai toujours adoré les enfants. Ils sont l'incarnation de la tendresse. Les filles surtout, car elles gardent plus souvent les traits fins. Le visuel compte beaucoup quand on veut provoquer l'appétit, peu importe son sens...
Ce qui m'amuse également, c'est le côté espiègle de ces jeunes gens : ils n'agissent pas de manière réfléchie, du moins pas de suite. Tels de petits animaux, leur instinct les pousse à agir sur l'instant, pleurant la perte d'un jouet et s'émerveillant juste après du vol d'un papillon, frôlant leur joue. Les regarder agir de la sorte est divertissant. Et je me surprends à y prendre du plaisir, comme si je pouvais en tirer un quelconque enseignement.
Ce soir, je suis tranquillement installé sur ma chaise de bureau, dans le logis que j'habite depuis maintenant trois lunes, lorsque je sens une perturbation dans l'air, non loin de moi. Le vent, bien que faible, s'engouffre dans les vieux interstices de la cabane, m'amenant le parfum de mon jardin... Et une autre odeur, plus prononcée. En tendant l'oreille, je n'entends rien. Les sens en éveil, je me lève doucement et récupère sur la table un flacon contenant des fleurs séchées, couleur du sang. Tapi dans l'ombre, protégé par un pan de mur et l'armoire de la pièce d'à côté, j'observe ce qu'il se passe. Dans la principale, l'âtre éteint s'illumine lorsque la porte s'ouvre sans bruit. Une ombre se dessine sur le sol.
Celle que je prends pour une enfant est là, dans ma demeure, en train d'observer les alentours. Sa démarche m'interpelle : elle se tient debout, droite, mais il y a quelque chose dans son attitude de... bestial. Je ne saurai l'expliquer, mais tout chez elle me fait penser à un animal farouche, prenant repère de son espace. Je dis "elle", mais je ne vois pas son visage, caché par un masque rudimentaire. La peinture est grossière, mais pas dénuée de sens artistique. C'est assez étrange. J'en oublie presque que je suis caché. Alors qu'elle s'arrête enfin, devant l'âtre, je me déplace dans son dos, dénué de toute intention. A l'instar de mes jeunes pousses, je peux paraitre aussi insignifiant qu'un pétale volant dans les airs.
Je ne suis qu'à cinq mètres d'elle, et je sais pourtant que je peux la tuer rien qu'en tendant la main. Mais avant cela :
- Que fais-tu donc ici, petit être ? L'instant suivant, je ne suis qu'à quelques centimètres de son visage. De mes yeux rubis, je scrute les pupilles que je devine derrière les orifices de son masque. Je joue de ma présence, la rendant plus impressionnante encore, assurant ma supériorité sur l'intrue, faible chose que l'on peut manger crue. Mais je préfère la méthode civilisée :
- Tu n'es pas du coin... Je ne t'ai jamais vue par ici. Es-tu seule ? Je remarque les deux poissons :
- As-tu faim ? Les habitudes ont la vie dure semble-t-il, car je pourrais la menacer, lui retirer cette façade d'un revers de la main, mais je préfère la rassurer, gagner sa confiance. Comme je le ferai avec n'importe quelle proie. Je ne suis pas un chasseur, j'endors les sens.
J'opte pour un regard plus doux. Je finis par m'éloigner calmement d'elle et m'asseoir près de la porte d'entrée, un sourire aux lèvres :
- N'aies pas peur de répondre. Je ne t'en veux pas vraiment d'être entrée chez moi. Rien ne laisse croire que quelqu'un vive ici, n'est-ce pas ? A part peut-être ce beau jardin. Je ne peux m'empêcher de lâcher un petit rire moqueur. Pas agressif, juste taquin.